Qu'ont pu faire Marzouki et Ben Jaâfar les deux chantres de la démocratie, qui assuraient veiller à ce que Ghannouchi ne franchisse jamais la ligne jaune! Les tenants du consensus avec Ennahdha se bercent d'illusions.
Par Rachid Barnat
J'ai déjà écrit que l'opposition était un boulet et que la société civile devait compter sur elle-même car elle est beaucoup plus clairvoyante que beaucoup de membres de cette opposition.
Or je viens d'entendre Néjib Chebbi, chef du Parti républicain s'exprimer et dire en substance qu'il faut compter avec Ennahdha, c'est un grand parti bien structuré disposant de beaucoup de moyens et très bien financé. Un parti très populaire avec lequel il faut compter qu'on le veuille ou non car il est bien implanté dans la Tunisie profonde!
Est-ce un discours d'un homme politique responsable? Est-ce ainsi qu'il pense mobiliser les Tunisiens? Ne jette-t-il pas l'éponge avant le combat?
Et ce n'est pas la première fois que M. Chebbi fait état de la résistance à laquelle se seraient livrés les islamistes contre le régime de Bourguiba puis contre celui de Ben Ali, en faisant leur éloge!
De l'exil doré à la confiscation de la révolution du peuple
Alors il faut mettre les points sur les i. La résistance n'est pas en soi et pour la vie une sorte de permis de diriger un pays. Par ailleurs, il y a résistance et résistance d'une part, et, d'autre part, il faut distinguer entre ceux qui ont résisté en restant en Tunisie et ceux qui auraient résisté à partir de l'étranger, souvent de pays européens. Pays dont on utilisait les libertés, les règles démocratiques et quelquefois les aides financières, quand l'Occident était «halal»... mais une fois rentrés au bercail, l'ingratitude des bénéficiaires va jusqu'à dénigrer ce même Occident, le considérant comme le «haram» absolu, en jetant l'anathème sur ses habitants!
Les Tunisiens savent bien, par ailleurs, que ce ne sont pas ces «résistants» là qui ont fait la révolution. Ils sont rentrés de l'exil doré pour la plupart à la faveur d'une révolution qu'ils n'ont pas faite pour s'en saisir en jouant les martyrs comme pour se donner une légitimité! Alors un peu de sérieux !
Par ailleurs, la résistance n'a de valeurs que par le projet que l'on porte. Car résister à un tyran pour installer une nouvelle tyrannie n'a strictement aucune valeur. Or c'est bien ce qui se passe avec les islamistes. D'une part leur résistance n'est pas du tout à l'origine de la révolution mais ils se donnent une légitimité de martyrs de la résistance tout-à-fait fausse comme pour se donner le droit d'installer une nouvelle dictature.
Cela n'est pas acceptable et les leaders de l'opposition devraient cesser de louer la prétendue résistance des islamistes. On ne répétera jamais assez qu'ils n'ont pas fait la révolution.
Le peuple tunisien a bien compris cela; et lorsque, à l'enterrement le week-end dernier de l'ancien résistant Ahmed Rahmouni, à Thala, il a chassé avec force Rached Ghannouchi et ses compagnons, c'était évidemment pour dire haut et fort qu'il ne fallait pas confondre un résistant qui s'était battu pour l'indépendance de son pays et un prétendu résistant qui n'a de cesse de faciliter la colonisation de son pays par les Arabes wahhabites du Golfe et d'Arabie.
Ce peuple montre clairement à M. Chebbi qu'il y a bien résistance et résistance et qu'il faut cesser de vanter la prétendue résistance des islamistes.
Néjib Chebbi nous dit que ces «résistants» constituent un parti très fort avec lequel il faudra compter, c'est-à-dire composer. Il commet là une erreur grave et que les Tunisiens ne peuvent en aucun cas accepter.
Peut-on vraiment s'associer aux islamistes?
Certes ces islamistes représentent une force mais c'est une force négative et néfaste; qui veut, de toute évidence (rappelons-nous les déclarations de Ghannouchi, de Mourou et de tant d'autres), installer une théocratie, c'est-à-dire une dictature religieuse pire que les précédentes!
Bien-sûr, ils ne le disent pas officiellement mais tous leurs comportements, leurs décisions vont dans ce sens. Alors devant un tel parti, en réalité fasciste, puissant ou pas, on ne transige pas et on ne s'associe pas sous peine de perdre son âme.
Mustapha Ben Jaâfar et Moncef Marzouki, présidents respectifs de l'Assemblée nationale constituante (Anc) et de la république, l'ont appris à leurs dépens si toutefois ils avaient des convictions de démocrates et s'ils étaient sincères !
L'idée, évidemment attirante et à première vue intéressante, du consensus que l'on voit développer ici ou là, est en réalité une erreur grave. Pour qu'il y ait consensus il faut d'abord que les partis qui veulent se réunir et partagent des valeurs de bases essentielles communes.
Ici, sauf à ne pas vouloir se rendre compte de la réalité, les islamistes ne partagent avec les autres partis aucune des valeurs de base de la démocratie : liberté de conscience, liberté d'expression, égalité des hommes et des femmes, lieux de culte réservés à la prière et non à la politique, etc.
Alors comment faire consensus? Marie-t-on la carpe avec le lapin?
Par ailleurs, constituer un gouvernement de consensus, c'est aussi diluer les responsabilités et éviter de porter le poids de l'échec. A quel parti incombera la responsable de l'échec? Et croyez-vous vraiment que la politique menée sera nécessairement bonne parce que tout le monde s'y met? D'autant que nous savons bien en quoi consiste la démocratie selon Ghannouchi : il est démocrate qu'avec ceux qui sont de son avis! Ne l'avions-nous pas vu à l'œuvre décider de tout, parfois contre la volonté de ses alliés de la troïka... réduits à un rôle de béni-oui-oui!!
Au contraire, il faudra donner satisfaction un peu ou beaucoup à tous, un peu ici et là; et tout cela ne fera pas une politique énergique, dynamique et forte comme celle qui est absolument nécessaire pour redresser le pays et réparer les dommages considérables causés par le pouvoir actuel.
Récemment, Taieb Baccouche, représentant de Nida Tounes, répondait avec des tours et des détours sur une alliance avec Ennahdha. C'est inacceptable. Les Tunisiens en grande majorité ne veulent plus d'une attitude hypocrite à la Marzouki et à la Ben Jaâfar! Ils veulent une déclaration nette selon laquelle Nida Tounes ne veut, en aucun cas de la société que cherche à modeler Ennahdha et ne s'unira jamais à ce parti, quitte à rester dans l'opposition. Est-ce trop demander?
La drôle de conception de la démocratie chez Ennahdha
En réalité si l'on creuse un peu cette volonté de «travailler» avec les islamistes vient de l'idée que s'ils sont à l'extérieur ils seraient violents. Doit-on se plier à cette violence? Doit-on composer sous la menace? La réponse doit être: NON.
Et, par ailleurs les islamistes ne seront pas exclus du jeu politique car s'ils ne sont pas au pouvoir, leur place sera dans l'opposition comme cela se passe dans toutes les démocraties! Mais pour cela ils doivent respecter les règles démocratiques, c'est-à-dire essentiellement le refus absolu de toutes violences.
En second lieu l'opposition a-t-elle perdu de vue que ce qui est l'un des critères fondamentaux de la démocratie et, sans doute, le plus important, c'est l'alternance. Il faut qu'un pouvoir qui a démérité puisse être remplacé par un autre pouvoir qui mènera une autre politique. Quelle alternance, si le pouvoir est exercé par tous?
Alors cessons de nous gargariser de ce mot de consensus qui ne signifie rien de sérieux contrairement à ce que certains essayent de nous vendre! Mais qui sous-tend plutôt la terreur qu'Ennahdha inspire à tous les démocrates pour se croire obligés de les associer au pouvoir coûte-que-coûte en dépit du bon sens... de peur que les Nahdhaouis ne reprennent de plus belle le terrorisme s'ils n'étaient pas au pouvoir!
Ce qui serait une drôle de conception de la démocratie de la part d'Ennahdha ... mais aussi une belle démagogie de la part de l'opposition de l'accepter!
Cessons donc de louer la résistance des islamistes à Zaba pour légitimer leur maintien au pouvoir dans des formations bancales politiquement vouées à l'échec si ce n'est à une nouvelle dictature.
L'exemple de la troïka est là pour nous le rappeler: qu'ont pu faire Marzouki et Ben Jaâfar les deux chantres de la démocratie qui nous assuraient veiller à ce que Ghannouchi ne franchisse jamais la ligne jaune! Or toutes les lignes rouges ont été franchies sans que ces deux démocrates n'aient pu faire quoi que ce soit !