Que reproche le parti islamique Ennahdha à Bourguiba? Son charisme que ses chefs n'ont pas? Sa légitimité politique et historique qu'ils n'ont pas non plus?
Par Ridha Hamdane*
Je suis sidéré par le fait que, comme du temps de Ben Ali, on ne fête pas l'indépendance. Apparemment, Bourguiba pose problème à ses détracteurs qu'il soit mort ou vivant et peut-être même plus mort que vivant. Bourguiba fut une personnalité très complexe. Nous l'avions aimé comme on aime un père. C'est-à-dire d'amour et de haine. Mais plus d'amour que de haine.
Ben Ali, minable qu'il était, ne pouvait pas lui succéder dans l'intelligence. C'est vrai, comme l'a dit Mohamed Mzali, un ancien Premier ministre, Bourguiba est un mangeur d'hommes. Mais aussi et surtout un grand homme.
Qu'est ce qu'un grand homme? C'est un homme qui, comme l'a dit De Gaulle à propos de Bourguiba, a des rendez-vous avec l'histoire. Et Dieu sait s'il en a eu. Alors que lui reproche essentiellement le parti islamique Ennahdha actuellement au pouvoir? Son charisme qu'ils n'ont pas; sa légitimité politique et historique qu'ils n'ont pas non plus. On va encore nous sortir la légitimité des urnes. Certes, ce fut la victoire indéniable des islamistes mais uniquement pour rédiger la constitution et non pour dominer le peuple. Nous sommes passés du coup d'état «médico-légal» du 7 novembre 1987 au coup d'Etat politico-dogmatique du 23 octobre 2011.
La jeunesse tunisienne qui semblait à beaucoup résignée, avait des aspirations simples à la dignité, au travail, à la justice sociale et à la lutte contre la corruption. Ces aspirations trahies s'étaient soldées par la chute de la dictature de Ben Ali. Mais il faut se méfier et s'en féliciter car nous pensons qu'ils sont capables d'abattre une deuxième dictature qui n'a rien réalisé de leurs aspirations légitimes, aspirations à l'origine de la révolution tunisienne et du printemps arabe, car c'est bien de printemps qu'il s'agit.
Cependant, un premier signe favorable ne garantit pas une fin heureuse. C'est dans la définition même du mot «printemps», définition dans laquelle on envisage également le «Printemps des peuples», nom donné aux révolutions qui marquèrent l'émergence du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (dictionnaire de l'académie française, consultable en ligne).
Il y a actuellement en Tunisie une violence qui, désormais, quoi qu'on en dise, envenime notre quotidien et régit les rapports entre les Tunisiens. Les Tunisiens découvrent subrepticement, à cause de l'intolérance de la classe politique, néophyte dans sa majorité, qu'ils sont différents ou qu'ils peuvent l'être. Et c'est tant mieux à condition que cette différence reste sur le plan du débat d'idées et qu'elle ne se traduise pas en violence vis-à-vis de ceux qui pensent différemment. A condition aussi et surtout, que certains illuminés, convertis nouvellement à l'islam politique ne se posent pas en donneurs de leçons car c'est bien eux qui en ont besoin, ni en protecteurs de la révolution dont ils ne sont nullement à l'origine et qui veulent plutôt en récolter l'usufruit.
Nous sommes loin du temps où un Bourguiba aimait à citer Auguste Comte, entre autres, dans ses discours et où il faisait preuve d'un didactisme extraordinaire pour élever le niveau du peuple. «Savoir pour prévoir, prévoir pour pouvoir» (Auguste Comte).
* Professeur.