Chokri Belaid n'est pas mort, son combat est universel, intemporel et éternel. Il est poursuivi par sa veuve, Basma Khalfaoui, symbole du féminisme, du modernisme et de la résistance face aux conservatismes et à l'intégrisme.
Par Omar Alaoui*
Quarante jours après la mort de Chokri Belaid, son souvenir est encore marquant pour tous les militants de la démocratie et des droits humains, à travers le monde et plus particulièrement au sein de la région Middle East and North Africa (Mena). Le crime dont a été victime le leader de la gauche tunisienne est ignoble. Il est l'œuvre des forces obscurantistes.
La montée en puissance des mouvements salafistes
La violence politique est désormais une réalité néfaste en Tunisie et dans le monde arabe. Nous observions, depuis des mois, l'émergence et la montée en puissance des mouvements salafistes, et nous étions les spectateurs impuissants mais néanmoins indignés de leurs débordements en tout genre.
Ces gardiens du temple de la morale et de la vertu défrayent régulièrement la chronique. Ils dictent leur propre loi au nom d'un islam qu'ils veulent tout sauf «tolérant» et «ouvert», allant ainsi contre le sens même de l'Histoire.
Ces mouvements se diffusent donc par les réseaux et médias sociaux, ainsi que par les chaînes satellitaires, et s'imposent inéluctablement aujourd'hui comme une force politique échappant au contrôle du gouvernement, pourtant dirigé par une branche cousine du courant islamiste.
Au vu de la situation actuelle, nous pouvons affirmer sans le moindre doute que les acteurs politiques et les médias internationaux ont sous-estimé l'importance de la menace salafiste en Tunisie. Et c'est avec du recul que nous pouvons affirmer aujourd'hui que le salafisme était et continue d'être un refuge, un «havre» pour une partie de la jeunesse de ce pays, qui ne croit pas à la politique et à son pouvoir, et qui est victime d'une crise économique sans précédent et d'un taux de chômage extrêmement haut.
Le salafisme a été combattu durant les années Ben Ali, ce qui lui a valu les acclamations et les honneurs d'une vieille Europe tétanisée par la menace islamiste. Depuis le départ du président déchu, nous assistons à un retour fulgurant des mouvements salafistes, désormais décomplexés et soucieux de montrer leur force.
Le retour des salafistes exilés et leur installation dans le champ politique sonnent le glas pour tout espoir d'une transition démocratique calme et paisible. Le concept même de démocratie et de liberté leur semble impossible, incompatible avec leur rêve d'installation d'un califat islamique. C'est pour faire échouer toute perspective de transition démocratique qu'ils sortent de leur mutisme et se font bruyamment entendre.
La montée de la violence et l'idéal démocratique
L'assassinat ignoble de Chokri Belaid s'inscrit dans la triste continuité des meurtres politiques dont les islamistes sont les auteurs. Nous pouvons en citer, à titre d'exemple, le syndicaliste marocain Omar Benjelloun, le leader communiste libanais Husseïn Mouroua ou encore l'écrivain égyptien Farag Foda. Ce sont tous des martyrs de la liberté et de la dignité humaine.
Deux ans après la Révolution du Jasmin, des forces anti démocratiques et obscurantistes s'imposent aujourd'hui en Tunisie par la force et la violence, prenant en otage les rêves et les espoirs d'une jeunesse tunisienne qui continue pourtant de croire en cet idéal démocratique.
Ce triste crime n'est que le résultat d'un cycle de violence continue dans laquelle la Tunisie s'est inscrite depuis plusieurs mois.
En effet, les gardiens du temple de la morale et de la vertu défrayent sans cesse la chronique dans un silence inexplicable de la part des autorités tunisiennes.
Contrairement aux révoltes égyptiennes et libyennes, la Révolution du Jasmin était hautement idéologique : c'était un éveil démocratique et populaire unique. Aujourd'hui, des forces anti démocratiques s'imposent par la force et par la violence, prenant en otage les rêves et les espoirs d'une jeunesse tunisienne qui continue pourtant de croire en cet idéal démocratique.
La Tunisie entre aujourd'hui dans un nouveau temps politique, celui de l'instabilité constante. La situation politique actuelle est similaire à ce qu'elle était sous la IVème République française, une période d'instabilité ministérielle chronique. La faiblesse des institutions politiques et le manque d'expérience dans la pratique du choix démocratique rendent la Tunisie vulnérable vis-à-vis des forces extrémistes. Le nouveau gouvernement dirigé par l'ex-ministre de l'Intérieur et dirigeant d'Ennahdha Ali Lârayedh devra régler le problème sécuritaire tout en garantissant un niveau élevé de pratique des libertés individuelles. La jeunesse, quant à elle, perd patience devant des difficultés socio-économiques grandissantes.
Féminisme, modernisme et résistance à l'intégrisme
Cependant, les idéaux du défunt leader progressiste sont plus que jamais vivaces. Chokri Belaid avait pour habitude de dire: «Nous avons un projet dans lequel ils ont leur place, alors qu'eux, ils ont un projet dans lequel nous n'avons pas de place».
Chokri Belaid n'est pas mort, son combat est universel, intemporel et éternel. Je salue la décision courageuse de son parti, qui a récemment demandé au Conseil des droits de l'homme de l'ONU d'enquêter sur la mort du défunt leader, l'appareil judiciaire tunisien étant jusque là défaillant.
Je souhaite également rendre hommage à la veuve de Chokri Belaid, Basma Khalfaoui, qui apparaît aujourd'hui comme un symbole du féminisme, du modernisme et de la résistance face aux conservatismes et à l'intégrisme.
Le peuple tunisien, et au delà la Rue arabe, comprend désormais les risques de l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques. La dérive autoritaire est une conséquence néfaste de l'islam politique, doctrine qu'il faut combattre par la raison et par les principes de la philosophie des Lumières, principes universellement reconnus.
Au Maroc comme en Tunisie, il faut rappeler avec force et convictions que le combat pour la démocratie n'est pas seulement un moment politique mais un plaidoyer au quotidien, un travail de terrain laborieux, une culture à inculquer et un apprentissage continu.
L'Union du Maghreb arabe doit avoir pour socle un projet générationnel, moderniste, démocrate et humaniste. La solidarité, le progrès, l'entente des peuples, le respect de l'Autre dans sa différence, sont des valeurs essentielles dans la construction d'une Union d'avenir entre les peuples du Maghreb.
La mort de Chokri Belaid nous renforce dans notre combat pour l'instauration de sociétés basées sur les valeurs démocratiques et les grandes libertés à travers le monde arabe.
* Acteur politique et associatif marocain.