Devant la Grande Mosquée, des barbus vendent toutes sortes de fortifiants, d'aphrodisiaques, de gélules contre l'éjaculation précoce, de crèmes pour parer les troubles de l'érection et d'autres concoctions pour doper la performance au lit...
Par Karim Ben Slimane*
Hier il a fait beau. Tellement beau que l'envie de quitter mon bureau et les dizaines de dossiers de toutes les couleurs qui y trônaient a finalement a eu raison de la peur des remontrances de mon patron. Travailler pendant cette belle journée aurait été un sacrilège et une ingratitude à l'égard du bon Dieu qui a fait ce soleil radieux.
Je suis à moitié pieux et à moitié fatigué et désabusé par la médiocrité ambiante qui m'entoure. J'avais mieux à faire que de me coltiner des rapports insipides et de lire les mails rédigés à la va vite dans un français approximatif et bafouant les règles les plus élémentaires de la bienséance.
Dieu me pardonnera à moitié. Il me comprendra pour l'autre. N'est-ce pas lui qui m'a accablé du fardeau de supporter ses créatures insensibles et laides. J'ai pris ma veste et je suis sorti au milieu des regards interloqués de mes collègues qui ne comprenaient pas que je puisse quitter le travail à trois heures de l'après-midi.
Ballade dans la Médina de Sousse
Quand j'ai franchi la porte de l'immeuble, la douce caresse des rayons de soleils extirpa le poids qui pesait sur ma poitrine. J'ai tiré fortement sur ma cigarette et je me suis senti vidé et léger. J'ai pris le chemin de la Médina de Sousse où j'aime bien flâner quand il fait beau. J'aime bien quand ça crie de partout, quand ça sent autre choses que les pots d'échappement et la transpiration des chauffeurs de taxi. J'aime quand ça chante, quand les voix des commerçants claironnent haut : «Forsa la touâadh ya madam Souâad» (Une occasion à ne pas rater, Mme Souad), quand le public d'une partie improvisée de domino ou de «chkobba» se paye la tête de celui qui vient de se prendre une déculottée humiliante.
La Médina est naturelle donc belle. Loin du faste et des artifices des salons de thé qui enlaidissent la ville et des manières grossières des pauvres âmes qui les peuplent. La Médina reste un sanctuaire dont le charme résiste à l'épreuve du temps. La Médina est comme une femme à qui Dieu redonne sa virginité chaque lendemain de ses ébats amoureux pour qu'on ne se lasse jamais de la convoiter.
Dans la Médina on trouve de tout et tout le monde fait commerce de tout. Tortues, caméléons et lézards à Bab Jedid, pour les adeptes de sorcellerie et de magie noire, friperie et brocante au cœur de la Rahba, les vendeurs de nougat dans le Sbatt jouant en chœur de leur petits marteaux, le pain Tabouna dans chaque coin de rue, les vendeurs à la sauvette de produits chinois de tout genre et autour des halles «l'ârraouaa», littéralement les va nu-pieds, réputées pour leur marchandise bon marché, les vendeurs de persil, de céleri et de radis en botte à côté des matrones assises devant un seau de pois-chiche trempés dans l'eau.
Ma ballade dans la Médina revêt du pèlerinage dans lequel le parcours est extrêmement codifié. Je dévale la pente des petites échoppes de Bab el Gharbi, j'arrive dans la Rahba, je fais un crochet par Bab Jedid pour me retrouver sur la place de la Grande Mosquée.
Jusqu'au au lit des croyants
Depuis la révolution, la Médina de Sousse connait un commerce d'un genre nouveau. Devant la Grande Mosquée des étals garnissent la devanture du monument Aghlabide. Au milieu de la place des hommes hirsutes vêtus de jellabas noires s'affairent interpellant le chaland. Je me suis approché de l'un d'eux. Il me donna le salut et posa sur ma main droite du musc en murmurant un verset du Coran à la suite duquel je devais dire «Amen». L'étal était en vérité une sorte d'apothicairerie de fortune où on trouve toute sorte de fortifiants, d'aphrodisiaques, de gélules contre l'éjaculation précoce, de crèmes pour parer les troubles de l'érection et d'autres concoctions pour doper la performance au lit. Ses produits miracles n'avaient pour posologie que des récits du prophète ou de ses fidèles compagnons vantant les mérites de telle plante ou de telle autre.
Les Tunisiens doivent sûrement avoir un problème avec le sexe pour que de tels produits soient proposés dans la rue de cette façon. Comme par hasard la solution vient encore une fois de l'islam dont les vertus s'étendent jusqu'au au lit des croyants.
Devant mon indécision, le «pharmacien» hirsute me tendit un petit flacon noir sur lequel est inscrit en grand caractère «Ennamer» (tigre en arabe). «C'est bon pour faire durer le plaisir, votre femme appréciera sûrement», me lança-t-il, tout sourire. Cette apostrophe m'a beaucoup embarrassé. Pourquoi ce charlatan m'offre ce produit en particulier? Est-ce que je me suis trahi en insistant, peut-être inconsciemment, sur un remède pour doper ma performance au lit? Jamais auparavant je n'ai eu de pareils doutes. Ma femme Zleikha ne s'est jamais plainte et je puis dire que je me dévoue beaucoup à la tâche. J'ai hésité un instant et reposé le flacon. Le pharmacien hirsute, ajouta : «Tu n'as pas à avoir honte mon frère, tous les Tunisiens ont ce genre de problèmes et beaucoup viennent se fournir chez moi.»
Je me suis gardé de lui répondre et lui ai fait comprendre que je suis venu plutôt chercher autre chose, du savon du prophète plus particulièrement. Il a disparu un petit moment derrière des cartons estampillés Made in China et a surgi soudain avec un petit paquet vert sur lequel est écrit «Habbat el haya». «Ça vous fera dix dinars mon frère, que le tout puissant te guérisse et t'enchérisse.»
Je déteste qu'on me roule dans la farine. Payer dix dinars pour ce truc était une grosse arnaque mais au moins ça a dissipé les doutes sur mes performances au lit aux yeux de ce charlatan.
J'ai tourné les talons et j'ai pris la direction de la station de taxi. Ce soir, je poserai quand même ouvertement et franchement la question à Zleikha pour avoir le cœur net.
*Spectateur rigolard de la vie politique tunisienne.