Le statu-quo de l'enquête, le black-out médiatique et vos pseudo-argumentaires en faveur des Ligues de protection de la révolution (LPR) font de vous un suspect voire complice des agressions dont des citoyens ont été victimes il y a un an.
Par Monia Mouakhar Kallel*
Une année après les évènements du 9 avril qui ont nécessité, comme dans tous les Etat de droit, la création d'une «commission d'enquête» dont vous êtes le président, je tiens à vous dire que la «Fête des martyrs» n'aura plus jamais le même sens pour des milliers de tunisiens...
Cette date leur appellera désormais tous les chahid- patriotes qui se sont sacrifiés pour la libération de la Tunisie, et l'indépendance de la nation, le Chahid Ckokri Belaid, qui a commencé à découvrir (et dévoiler) les fils de la «dictature naissante» (selon le fameux lapsus révélateur de M. Jebali), elle leur rappellera également la journée noire du 9 avril 2012 où des citoyens, sortis manifester, se sont fait gratuitement insulter, malmener et attaquer par des bandes organisées et visiblement bien préparées.
La lancinante question qu'on entend depuis quelques semaines: «Qui a tué Chokri Belaid?» se double toujours dans ma tête d'une autre: «Qui est derrière les évènements du 9 avril 2012?».
Lancinantes sont les questions et obstinées les images.
Images d'hommes munis de gros gourdins collés aux agents de police, qui orientent les déplacements, indiquent les cibles à battre, insultent les passants, crachent sur les visages...
Image de l'armada de voitures et des policiers armés jusqu'aux dents qui, brusquement, barrent l'avenue Mohamed V, avant de nous lancer en pleine figure les premières bombes lacrymogènes...
Image du jeune policier, visage d'enfant, yeux larmoyants, qui a du mal à suivre les directives de ses supérieurs, et me glisse à l'oreille, dans un instant de communion, «ce sont les hommes d'Ennahdha, sa milice, rentrez chez vous, une catastrophe (''kartha'') peut se produire»...
Image des gens qui courent dans tous les sens, qui vacillent déstabilisés par le nuage blanchâtre au goût âcre, ou s'arrêtent net et se font rattraper par les matraques, anarchiques, impitoyables...
Image des militaires qui bravent le «règlement» et ouvrent les portes des institutions qu'ils gardaient pour abriter les citoyens, défaits, évanouis, blessés...
Monsieur le président de la commission, ces images qui peuplent mes nuits et mes jours, ces images que j'ai couchées sur un papier (paru il y a un an dans ce même journal) deviennent obsédantes à l'approche du 9 avril. Quant à mon texte, il semble vaporeux, imprécis, naïf. Me voilà donc contrainte de continuer à raconter cette douloureuse histoire où vous tenez un rôle peu reluisant.
Il y a un an, je ne pouvais pas désigner certaines choses ni mettre des noms sur certains visages. Aujourd'hui, je sais au juste qui sont nos agresseurs, à quelles organisations ils appartiennent, et dans quel but ils travaillent. Certains sont même devenus des «stars»: ils paraissent dans les médias, tiennent de beaux discours et se disent les protecteurs de la révolution.
Je me garde donc, monsieur le président, de vous demander les résultats de l'enquête; je devine votre réponse et toutes les acrobaties (juridiques, rhétoriques, techniques, politiques...) que vous devez faire pour continuer à incarner l'islamiste ouvert; traduit en termes d'«image» (mot cher aux Nahdaouis), vous êtes partis pour représenter la belle vitrine d'Ennahdha qu'on voit dans tous les débats télévisés (surtout dans les périodes de grande tension).
Mais plus important que les images, les postures, les rôles, est le rapport, la nature du rapport qui lie l'homme politique à son parti et à lui-même. Dans l'âpre domaine de la gouvernance, il existe deux catégories de politiciens: ceux qui mettent leur énergie et leur savoir faire au service de leur parti sans jamais oublier leur individualité (dans le sens premier du terme; un et indivisible), et ceux qui fondent dans le groupe en mettant leur conscience dans leurs poches et leur intelligence entre parenthèses.
Compte tenu du statu-quo de l'enquête et du black-out médiatique, compte tenu de votre silence suspect voire complice et de vos pseudo-argumentaires en faveur des Ligues de protection de la révolution (LPR), vous devinez, monsieur, dans quelle catégorie je vous classe.
L'Histoire le dira...
Et nos (petits) enfants le sauront, les miens et les vôtres, monsieur le président de la commission d'enquête sur les évènements du 9 avril 2012...