Le président provisoire de la république semble disposé à collaborer avec n'importe qui et à faire n'importe quoi pour devenir président élu – et non conduit au Palais de Carthage par 7.000 voix et la bénédiction d'Ennahdha.
Par Nizar Chabbi
Notre président (heureusement) provisoire parle aux Tunisiens, et parle de leurs problèmes internes sur une chaine de télévision étrangère. Et pas n'importe laquelle! Précisément celle que beaucoup de Tunisiens et Tunisiennes abhorrent, depuis près de deux ans pour les plus précoces, depuis quelques mois pour les plus lents à la détente. Une chaine dont tout le monde a compris maintenant les véritables orientations et les desseins obscurs – pour ne pas dire obscurantistes – de ceux qui la possèdent et la dirigent.
Dr Moncef et Mister Marzouki
Notre provisoire président, dans un style poujadiste sauce harissa et «kamia 7oms» saupoudré d'un bin de schizophrénie, nous aboie en résumé la chose suivante : «Moi et mon ami Ghannouchi (ce sont ses termes) et Ben Jaâfar, retenons, au prix d'un grand effort, un déluge barbu qui n'hésiterait pas à pendre haut et court les laïques extrémistes ( !?) si ces derniers venaient à renverser le gouvernement... par des moyens militaires notamment.»
On croit rêver! On apprend, cependant, deux choses:
1- que tout opposant à la chose tricéphale qui gouverne, l'hyper-encéphale nahdhaouie et les 2 encéphales atrophiées qu'il n'importe même plus de nommer, sont considérés comme laïque extrémiste;
2- et que ces laïques extrémistes seraient de mèche avec l'armée (?!) pour concocter quelque putsch.
Notre provisoire président, avec l'absence de charisme et l'humeur bipolaire qu'on lui connait désormais, parle non comme un président, qui devrait être au-dessus de toute polémique partisane, parler au nom de la république et du peuple tunisien, surtout lorsqu'il s'exprime à l'étranger, être le père de la nation et le garant de son unité, et savoir qu'en matière de politique intérieure dans une démocratie, le linge sale se lave en famille!, non, notre provisoire président parle comme un (mauvais) candidat à une élection.
Notre provisoire président, au lieu de cimenter et de consolider la cohésion nationale, seule arme qui a permis de déchoir l'ancien tyran, prête main forte à ceux qui misent sur la division et les clivages pour se maintenir dans les ministères dont le peuple leur a ouvert les portes, après leur long séjour dans les caves de la clandestinité.
Notre provisoire président conditionne, parait-il, la mise à disposition d'une protection policière à la veuve et aux orphelines de feu Chokri Belaid, au fait d'être reçu par cette même famille pendant les obsèques!! C'est, en tout cas, ce qu'a affirmé Basma Khalfaoui Belaïd.
Notre provisoire président, ancien militant des droits de l'homme, compte plusieurs cas de torture et de brutalité policière durant son (espérons-le court) règne. Il a même eu droit à la décoration suprême: la livraison d'un réfugié politique libyen aux milices armées qui tiennent la Libye.
Le guignol d'Ennahdha
Notre provisoire président, avec son humeur versatile et ses principes faciles à laisser au vestiaire, lance, sûr de lui et sourire nerveux: «Bahreïn horra horra w Al-Khalifa âla barra!» (Bahreïn est libre, la dynastie des Al-Khalifa dehors!), au cours d'une manifestation de son parti, le Congrès pour la république (CpR), devant l'ambassade de Bahreïn à Tunis, durant la campagne électorale pour les élections du 23 octobre 2011... pour recevoir ensuite, en grandes pompes, et à peine un an plus tard, l'ambassadeur de ces mêmes Al Khalifa, au Palais de Carthage.
Pourquoi cela, serait-on tentés de se demander? Seul un calcul politicien et un espoir de gain personnel pourraient amener un homme politique à faire volte-face d'une manière si brutale et si dépourvue de scrupules au point d'en devenir une véritable girouette politique.
Notre provisoire président, qui semble être tout simplement tombé dans l'addiction au pouvoir, est désormais disposé à collaborer avec n'importe qui et à faire n'importe quoi pour réaliser un vieux rêve, satisfaire un égo tyrannique meurtri, se venger d'un destin par trop banal et apaiser une ambition dévorante: devenir président élu – et non conduit au Palais de Carthage par 7.000 voix et la bénédiction d'Ennahdha – et après cela le déluge!