Les vrais extrémistes, ne croyant qu'en la force, n'ont qu'une attitude d'exclusion, à l'encontre de tous ceux qui ne partagent pas leurs idées. Ils se recrutent davantage du côté des religieux que des laïcs.
Par Jamila Ben Mustapha*
La «laïcité admettrait-elle un adjectif»? Cette question a pour origine, une phrase de Seif Ben Kheder figurant dans son article publié sur Kapitalis, le 11 avril dernier ''Tunisie-Politique : Marzouki, laïcité light et merguez arabo-musulman'' .
Il nous semble utile, à notre tour, de tenter d'examiner la raison d'être de la curieuse notion, apparue avec «l'ère nouvelle», d'«extrémiste laïc», aussi fréquemment utilisée que peu explicitée, dans le discours politique actuel.
Les «extrémistes laïcs» existent-ils?
Rappelons, tout d'abord, que le terme courant, de «laïc» désigne toute personne qui est pour la séparation du politique et du religieux, dans la vie publique.
Les appellations d'islamiste et de laïc auraient-elles, par le biais d'une démarche qui se veut subtile, à être modifiées, corrigées, nuancées, modulées, sur le plan quantitatif, selon le signe du plus ou du moins, comme on le voit, dans la rhétorique politique, aujourd'hui?
On entend parler, par exemple, d'islamistes modérés ou de laïcs extrémistes. Les adjectifs accolés au nom viendraient lui donner une touche positive, dans le premier cas, ou le rendre nettement péjoratif, dans le second.
Nous nous intéresserons, seulement, dans les lignes qui suivent, à l'expression d'«extrémiste laïc», et, en liaison précise avec le problème des violences dont la Tunisie est le théâtre, depuis plus de deux ans.
Si les extrémistes islamistes existent sûrement, par les multiples agressions qu'ils ont occasionnées sur les monuments comme sur les personnes, qu'en est-il des «extrémistes laïcs»? S'agit-il, tout d'abord, de personnes réelles ou, plutôt, d'une création de l'esprit? Quelles seraient les infractions, les violences matérielles et physiques qu'ils auraient accomplies et que nous ignorerions?
Il nous semble que, employée à mauvais escient, ou pas, désignant, ou non, des êtres fantomatiques, cette appellation conçue, de façon symétrique à la première, a une fonction précise, bien réelle, celle-là. Elle serait forgée pour atténuer les méfaits commis par les extrémistes religieux. Elle permettrait – en donnant aux «extrémistes laïcs» une existence non démontrée, mais simplement, affirmée dans le langage -, quand leurs adversaires ont trop gaffé, de trouver à ces derniers une porte de sortie en les renvoyant, tous deux, dos-à-dos.
Relativiser les agressions des extrémistes islamistes
Cette démarche aurait, ainsi, pour raison d'être de relativiser les agressions des extrémistes islamistes, d'affirmer, par là, qu'ils n'ont pas le monopole de la négativité et que nous sommes en présence de deux camps aussi coupables, l'un que l'autre. Elle contribuerait à affaiblir, de façon substantielle, la responsabilité des auteurs de violences matérielles et physiques.
Or, il y a un fossé entre les extrémistes religieux – violents et non culpabilisés de l'être, voulant empêcher, par exemple, en toute bonne conscience, les réunions politiques des partis qui leur sont opposés – et les «extrémistes laïcs», en réalité, les laïcs, tout simplement, car, obligés, acculés, qu'ils sont, de par leurs convictions politiques, à condamner toute violence.
La grande différence entre les deux est que les modernistes, dans le contexte tunisien actuel, croient en la démocratie comme système profane, humain, perfectible, d'organisation de la vie commune, alors que les extrémistes conservateurs la rejettent comme une importation nocive de l'Occident.
Il découle de leur position que les laïcs savent que leurs ennemis politiques ont leur place, dans la société, comme tout autre courant idéologique, à condition d'éviter la violence physique et les actes qui tomberaient sous le coup de la loi. Cette attitude a été entendue, de la part de deux modernistes aussi différents l'un de l'autre que feu Chokri Belaid et Béji Caïd Essebsi, guidé, probablement, vers elle par le bon sens et le pragmatisme politique.
Or, les vrais extrémistes, ne croyant qu'en la force, n'ont qu'une attitude d'exclusion, à l'encontre de tous ceux qui ne partagent pas leurs idées: rappelons les paroles d'un certain Imed Dghij qui a affirmé, au cours d'une émission de télévision, sur la chaîne Al-Moutawassat, les larmes aux yeux, que les membres de Nida Tounes devront, pour arriver, passer sur son cadavre ainsi que sur celui de ses partisans.
L'attitude démocratique est, bien entendu, un long apprentissage et il ne suffit pas de s'en revendiquer pour être apte à l'appliquer. Toutefois, avoir une position politique qui prône la nécessaire coexistence de tous les courants, de toutes les sensibilités politiques, dans une même société, disculpe, jusqu'à preuve du contraire, les laïcs, de toute accusation d'extrémisme, leurs prises de position verbales entrant dans le cadre de la liberté d'expression, garantie par le régime démocratique.
* Universitaire.