Le temps est venu pour que l'Etat, sans abandonner son rôle de financement de la production et de la diffusion culturelle, mette fin à sa mainmise sur le secteur.
Par Samir Messali
Je me permet d'emprunter ce mot «recommenceurs» du fameux sketch de Hedi Semlali intitulé ''Le traducteur'' pour désigner les «awadas», ce groupe de musiciens, pour la plupart percussionnistes, qui, en répétant inlassablement les vieux tubes des années 50 (Raoul Journou and co.) ou ceux des stars libanaises actuelles, nous torturent, à chaque fête de mariage, par leurs décibels dégénérant en une vraie cacophonie.
Nos artistes chôment-ils?
Depuis quelques semaines déjà, c'est la pleine saison des réservations pour les fêtes des mariages de l'été. Et nos artistes se ruent vers les émissions de variété à la télé ou à la radio, pour essayer de retrouver une place parmi ces nombreux politiciens qui ont désormais occupé le paysage audiovisuel.
En fait, chaque passage d'un artiste en ses temps est bien précieux puisqu'il permet de faire grimper le montant du cachet.
Désormais en l'absence de nouvelles créations, il ne faut surtout pas espérer un passage aux festivals de Carthage ou d'Hammamet. Le corps du ministre de la culture y fera certainement barricade.
Le phénomène est en fait assez inquiétant. Depuis la révolution, à part quelques jeunes artistes qui composent des tubes de rap exprimant le mal de vivre d'une génération à la recherche d'un avenir, et diffusé sur internet, la scène musicale traditionnelle tunisienne n'a pas connu de nouvelles créations à succès. Les stars de la chanson se contentent désormais de fouiner dans le vieux tube de Nadhem Ghazali ou de Sabah pour pouvoir en remixer un improbable «nouveaux» succès.
Par ailleurs, il ne faut pas attendre un gouvernement issu d'un parti islamiste, bien que le ministre de la Culture ne le soit pas, pour espérer un développement de la création culturelle dans le pays. La culture étant la dernière de leurs priorités, il n'existe à priori pas de programme visant à la développer, contrairement à Zaba qui lui en avait un.
Malheureusement, le programme de Zaba consistait à maintenir l'emprise de l'Etat sur toutes productions culturelles. Cela a commencé, à la fin des années 80, par le laisser-faire de l'Etat face à la prolifération de la vente des cassettes contrefaites.
Ce qui a très vite contribué à la faillite des maisons de production l'une après l'autre. Toute nouvelle création devait alors passer par l'Etablissement de la radio et télévision tunisienne (Ertt) pour la production et la promotion. Quant aux tournées, elles ne pouvaient se faire sans les festivals d'été contrôlés et subventionnés par le ministère de la Culture.
Réformer le système de production et diffusion culturelle
Pour trouver place dans ce système, il fallait se frayer un chemin dans les coulisses de l'Ertt, être politiquement correcte et surtout ne pas refuser la demande d'un passage dans les galas de célébration du 7 Novembre, anniversaire de l'accession de Zaba au pouvoir, ou lors de la campagne présidentielle.
Après la révolution, il n y a plus de gala de 7 Novembre, ni de campagne présidentielle. Les variétés musicales ne trouvant plus de place face à une télé occupée désormais par les politiciens, et en l'absence de vrais producteurs, nos stars de la chanson sont perdues. Et il n'est même plus pensable d'immigrer vers le Caire où la situation frôle le chaos. Ils se contentent donc de chanter dans les fêtes privées pour joindre les deux bouts.
Que fait alors le ministère de la Culture? Il continue tout simplement sur les pas de Zaba en voulant, encore et toujours, être derrière l'essentiel l'activité culturelle du pays. Il est l'organisateur de la Foire du livre, des Jcc, des festivals d'été, etc. Il est aussi, via sa subvention, derrière toutes les productions cinématographiques nationales et les grandes productions théâtrales. Il est le premier acheteur des livres nouvellement édités, que personne ne lit puisqu'ils échouent dans les dépôts, et il est aussi un grand collectionneur de tableaux acquis auprès des galeristes ou des artistes.
Le problème c'est que le goût, si raffiné, du ministère de la Culture, n'est pas du goût des autres. C'est-à-dire de monsieur tout le monde, qui aime les chansons populaires de Samir Loussif et qui veut danser sur les rythmes des chansons de Fatma Boussaha. Comment faire alors pour respecter le goût des autres?
Le temps de l'initiative privée
Il est temps, je crois, que le ministère de la Culture se consacre, en plus de subventionner des productions de qualité, à l'essentiel, c'est-à-dire la mise en place d'une législation et de mécanismes qui permettront une plus grande implication du secteur privé dans la production et l'action culturelles. Seule les intervenants du secteur privé et à but lucratif sont capables de faire ce lien entre les artistes-créateurs, qui cherchent un encadrement, et les attentes du public dans toute sa diversité.
La législation, et son application doivent préserver l'intérêt de tous les intervenants: producteurs, créateurs, artistes, spectateurs-consommateurs. Et surtout mener une grande et rude bataille contre la contrefaçon.
Dans une économie mal en point, il ne faut pas négliger l'apport du secteur culturel à croissance et à la création d'emplois.