Des associations de la société civile ont lancé, hier, un appel à défendre et à sauver la liberté d'expression en Tunisie, menacée par la volonté de verrouillage des élus du parti islamiste Ennahdha.
Dans cet appel, les associations signataires estiment qu'il est de leur devoir d'alerter l'opinion publique contre les tentatives incessantes visant à empêcher que la réforme du secteur de l'information soit conduite conformément aux règles de la profession et aux standards internationaux de la liberté d'expression.
Après avoir rappelé les principaux indices attestant que la liberté d'expression en Tunisie est encore en danger, les signataires de l'appel mettent en garde contre la gravité de la situation et contre les menaces qui guettent la liberté d'expression, appelant l'opinion publique à faire face aux tentatives visant à étouffer la liberté de presse et d'expression, le principal acquis réalisé depuis la révolution et sans lequel la Tunisie n'a aucune chance d'accomplir une transition démocratique réelle.
Voici, ci-après, le texte intégral de l'appel :
Appel à défendre et à sauver la liberté d'expression en Tunisie
Deux ans et demi après la «révolution de la liberté et de la dignité» en Tunisie, qui a brisé les chaînes étouffant la liberté d'expression et d'information, les composantes de la société civile, signataires du présent appel, estiment qu'il est de leur devoir d'alerter l'opinion publique contre les tentatives incessantes visant à empêcher que la réforme du secteur de l'information soit conduite conformément aux règles de la profession et aux standards internationaux de la liberté d'expression, et à utiliser, de nouveau, les médias comme instruments de propagande, ce qui représente un réel danger pour le processus de transition démocratique et risque de préparer le retour de la dictature.
Parmi les multiples indices et exemples qui attestent que la liberté d'expression en Tunisie est encore en danger, nous citons, notamment:
1- L'inscription dans l'avant-projet de la future Constitution d'un ensemble de dispositions qui sont contraires aux fondements de la liberté d'expression et aux standards internationaux dans ce domaine, ainsi que la tentative de revenir sur le principe de l'indépendance effective des instances constitutionnelles en charge des secteurs de l'information et de la magistrature.
2- L'insouciance du gouvernement à l'égard des textes de loi régissant le secteur de l'information, et la violation de leurs dispositions, ce qui a entraîné un vide juridique délibéré qui a favorisé l'émergence de certains médias, politiquement alignés et aux financements douteux, outre les nominations arbitraires à la tête des médias publics et les agissements irresponsables à l'égard de ces médias, tels que les menaces de les privatiser.
3- La remise à l'ordre du jour d'un ancien projet de loi organique, présenté en septembre 2012 à l'Assemblée nationale constituante (Anc) par des élus du Congrès pour la République (CpR), visant à abroger le décret-loi N°115 de l'année 2011, relatif à la liberté de la presse, de l'impression et de l'édition, et à le remplacer par un texte liberticide qui pénalise la liberté d'expression et prémunit les responsables politiques contre la critique. Ce projet de loi organique comporte plus de 13 articles prescrivant des peines privatives de liberté.
4- Le blocage du processus d'application du décret-loi N°116 de l'année 2011, depuis plus de 28 mois, et le non-respect des conditions fixées par ce texte de loi qui prévoit la création d'une Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), après que le président de la république eut abdiqué ses prérogatives en faveur des partis de la Troïka, en particulier du parti Ennahdha, qui a entravé la création de la Haica, en écartant les candidats connus par leur compétence et leur indépendance d'esprit et de caractère, et en proposant à leur place des personnes fidèles et dévouées ou qui n'ont jamais brillé par leurs positions en faveur de la liberté de la presse.
5- La multiplication des agressions contre les journalistes dont certains ont reçu des menaces de mort, dans l'indifférence des autorités publiques et leur incapacité à les protéger et à arrêter leurs agresseurs qui profitent de l'impunité totale, outre les poursuites judiciaires engagées contre les professionnels des médias, sur la base du code pénal au lieu du décret-loi N°115.
Les associations signataires du présent appel mettent en garde contre la gravité de la situation et contre les menaces qui guettent la liberté d'expression. Elles appellent l'opinion publique ainsi que tous les hommes et toutes les femmes libres à faire face aux tentatives visant à étouffer la liberté de presse et d'expression, le principal acquis réalisé depuis la révolution et sans lequel la Tunisie n'a aucune chance d'accomplir une transition démocratique réelle.
Associations signataires :
- Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (Ltdh);
- Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt);
- Syndicat général de la culture et de l'information relevant de l'Ugtt;
- Association «Yakadha» (Vigilance) pour la démocratie et l'État civique;
- Syndicat tunisien de la presse indépendante et de la presse des partis (Stpip);
- Syndicat tunisien des radios libres (Strl).
Illustration: photo Aicha Skandrani.