L'opposition tunisienne n'a plus le choix, elle est tenue de rattraper le retard qui la sépare du parti au pouvoir et de se porter vers l'avant afin d'agir avec ardeur mais pacifiquement.
Par Kilani Bennasr*
Où en est la Tunisie après 26 mois du la chute de Ben Ali?
Ce qu'a perdu la Tunisie de plus important, c'est sa place sur l'échiquier mondial, la paix sociale et le respect de ses institutions par ses propres citoyens.
Une situation sécuritaire préoccupante
La révolution a dénaturé la société tunisienne, souffrant d'un mal d'autorité et de l'inexistence de volonté gouvernementale pour faire face au malaise profond qui sévit aussi bien en villes que dans les bourgades. Les symptômes et indices de ces fléaux ne manquent pas, on dénombre la multiplication des cas d'immolations par le feu, de suicides et des tentatives, des milliers de jeunes préférant quitter le pays et courent le risque d'être tués ou emprisonnés en Syrie ou encore laisser leur peau dans la traversée périlleuse vers l'île italienne Lampedusa.
Ce qui est plus déplorable c'est la situation sécuritaire qui ne s'améliore pas et les séries de violences urbaines, à chaque fois destructrices, qui ne font que changer de thèmes et de villes.
Faute de stratégie médiatique nationale qui identifie les formes les plus appropriées à la diffusion de chaque contenu et portion à communiquer, les moyens d'informations contribuent indirectement à saupoudrer le citoyen très mal préparé aux situations de crise et de calamités naturelles et à disperser sa lucidité. Le philosophe roumain Emil Cloran disait: «Ce qui est fâcheux dans les malheurs publics, c'est que n'importe qui s'estime assez compétent pour en parler».
Ce n'est guère un affichage assombri de la situation mais c'est de la pure réalité, en ce moment précis ce qui ne rassure pas le citoyen tunisien et le rend perplexe ce n'est pas le parti Ennahdha en lui-même mais l'absence de résultats et l'inefficacité de ses politiciens. En effet, personne n'est en mesure de prédire ce que serait cette terre tunisienne dans 50 ans.
Le sort la Tunisie serait intimement lié au sort du parti Ennahdha pendant des années, ce dernier plus organisé et plus fort, ne lâcherait pas prise tant qu'il n'a pas vu ses objectifs se réaliser et Kairouan redevenir un pôle de la foi musulmane au sein d'un modèle d'Etat islamique. Autrement, il n'est pas exclu que, après une éventuelle défaite et faillite de l'expérience islamiste, en Tunisie, on continuerait à se battre jusqu'à l'extinction de la dernière âme.
L'ingérence étrangère en question
Inutile de diaboliser les superpuissances étrangères, ce sont des partenaires historiques qu'on devrait accepter et ménager, ils ne peuvent pas être à l'origine de tous les maux qui s'abattent sur un pays. Plusieurs facteurs entrent en jeu et chaque Etat assume une importante part de responsabilité de ce qui lui arrive, quand les décisions proviennent d'une seule partie par exemple !
Pour comprendre les dissensions sociales et politiques en Tunisie, il est nécessaire, d'abord, de reconnaître qu'elles sont tout à fait naturelles dans un pays ayant connu des siècles de sous-développement et de misères suivis de décennies de dictature. Secundo, décongestionner l'atmosphère qui règne depuis janvier 2011 est plus que nécessaire, iI faudrait tourner la page et oublier l'ancien régime pour permettre de songer calmement à l'avenir du pays, cette démarche démasquerait aussi les arrivistes et ceux qui mangent à tous les râteliers.
En revanche, il est inadmissible que le gouvernement provisoire continue, à l'instar de ses prédécesseurs, à critiquer éternellement l'ancien régime. N'oublions pas que, pour plusieurs raisons, Ben Ali devait partir et ne plus revenir; la révolution a le mérite d'avoir accéléré sa chute et de provoquer sa fuite en famille. Quant à la situation actuelle en Tunisie, elle était prévisible depuis quelques temps, voire planifiée depuis plus de dix ans par les «vautours» de la planète.
La révolution baptisée le «printemps arabe» était le prétexte choisi par ces rapaces pour mettre en application leur plan, visant des pays précis du Maghreb et du Moyen-Orient, afin de charcuter leur géographie et de s'emparer de leurs richesses naturelles.
Ces vautours que représentent les grandes puissances sur terre n'avaient pas arrêté de survoler le reste du monde pour le garder sous contrôle et quand ils impliquent des pays alliés du tiers monde ou leurs partis politiques dominants, dans leurs stratégies; c'est pour les asservir et leur faire accomplir des besognes inhumaines contre leurs propres citoyens, moyennant un service important: leur procurer les moyens de s'imposer dans leur pays comme force politique puissante.
Par ailleurs, l'ingérence étrangère serait à l'origine de l'avortement de tout projet de gouvernement d'union nationale en Tunisie, tous les acteurs politiques du pays en sont conscients. Ces acteurs ou responsables des partis politiques sont invités à s'unir en un seul front contre les menaces et la convoitise étrangères et éviter de «papillonner» séparément, secrètement dans les chancelleries de pays amis.
Une opposition mal-en-point
Après l'euphorie du 14 janvier 2011, le peuple, la société civile et l'opposition découvrirent l'irréparable, le pays est soumis à une nouvelle stratégie d'islamisation systématique, complètement opposée au modèle de gouvernance de Ben Ali. Un nouveau paysage où Ennahdha et les partis islamistes sont désormais les acteurs durs, prêts à se sacrifier eux-mêmes et tout le pays pour aboutir à leur fin.
Depuis la chute de Ben Ali, le paysage politique en Tunisie n'est toujours pas cohérent. Le parti au pouvoir, malgré les soutiens venant de l'extérieur, a du mal à rassurer ses anciens électeurs et à les inciter à donner leurs voix à Ennahdha aux prochaines urnes; des masses d'électeurs composées d'une majorité de nécessiteux attirés beaucoup plus par les aides en nature que par conviction.
En revanche, les partis de l'opposition souffrent d'un manque de moyens mais peuvent compter sur leurs membres et électeurs potentiels, des salariés de la classe moyenne convaincus mais leur nombre est limité.
Une partie de l'opposition non islamiste habituée à la «carotte et au bâton» du temps de Ben Ali et à ses méthodes relativement indulgentes, contrairement aux tortures réservées aux islamistes, ne croit pas ses yeux devant la dégradation de la situation après la révolution. Malgré qu'elle était dès la première étincelle sur le devant de la scène, on lui reproche le manque d'engagement et de dynamisme comparé au mouvement Ennahdha, pourtant novice et inexpérimenté mais mieux structuré et accrocheur.
Aujourd'hui la majorité des partis de l'opposition, malgré leurs revendications légitimes, se retrouvent en perte de vitesse par rapport à leurs aguerris rivaux politiques islamistes.
L'origine de l'impopularité de l'opposition serait aussi une réaction au comportement hautin de certains chefs de partis. A-t-on imaginé le manque inquiétant de préparation chez ces derniers, comparés à leurs homologues d'Ennahdha? Ils ne semblent pas capables d'assimiler et de gérer la houle qui a frappé leur pays. Nul ne peut présager ce qui attend la Tunisie de bénéfique ou de dévastateur.
Il existe des politiciens qui se prennent pour des fonctionnaires, préférant ne pas quitter Tunis la capitale pour travailler une séance unique, une matinée «espagnole» coupée de pauses café, et osent après, demander des comptes à Ennahdha un parti opérationnel 24 heures sur 24 à l'intérieur du pays comme à l'étranger!
L'Abc de la démocratie
Ce dont rêve tout citoyen, c'est vivre dignement dans un pays souverain, peu importe celui qui gouverne, un parti de la droite ou de la gauche. La finalité étant de satisfaire les besoins des gouvernés et non pas l'inverse, comme c'est le cas aberrant, en Tunisie post-révolution!
Prenant l'exemple du monde occidental moderne, le parti au pouvoir est évalué principalement par son rendement socio-économique et ses rivaux dans l'opposition ne peuvent être élus que par rapport à leur programme politico-économique qui devrait être réaliste et vérifiable.
En Tunisie, nos politiciens de la droite ou de la gauche ne seraient pas encore prêts à adopter et appliquer ces règles, pourtant devenues universelles!
Que le plus fort et le mieux organisé gagne à condition qu'ils ne passent pas au dessus et au détriment de la souveraineté de l'Etat et de son unité nationale.
Pis que cela! Ce n'est pas en calculant ce qui leur reste de la vie et faire en sorte qu'ils terminent leurs jours dans le velours et les voyages qu'ils croient servir le pays.
L'histoire n'oubliera jamais les héros des nations, même ceux qui étaient écartés de leur vivant, un jour on parlera de leur bravoure, de leur sacrifice et de leur patriotisme...
Pour créer l'équilibre politique souhaité en Tunisie et atténuer la tension sociale, il va de l'intérêt de tous et de l'opposition en particulier, qui connaît bien la situation avant et après la révolution, de redoubler d'effort sur tout le territoire en y menant calmement un travail ciblé sans heurter les sensibilités des autres partis.
Une tranche de l'opposition serait justement critiquée pour ses attitudes nostalgiques, elle continue à chiquer des slogans libertins et antimilitaristes datant de l'ancien régime, et condamnés sévèrement par les partis de droite en occident. Malgré les performances de l'armée nationale, citées en exemples par le peuple, la société civile et le gouvernement provisoire, cette attitude archaïque commençait à donner son avant-goût après le 23 octobre 2011 même au sein de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Celle-ci se serait opposée à l'institutionnalisation d'un rôle plus élevé à la grande muette dans la prochaine constitution, si jamais ce projet encore en «draft» voit le jour!
* Colonel retraité.