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Les dirigeants d'Ennahdha sont passés maîtres dans la pratique de la mauvaise foi. Ce ne sont pas, hélas, les exemples pour illustrer ce comportement immoral et condamnable qui manquent.

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

«Je suis oiseau, voyez mes ailes/Vive la gent qui fend les airs ! ... – Je suis souris, vivent les rats !»

Jean de La Fontaine prête ces propos à une chauve-souris en danger de mort et qui, à deux reprises, cherche à donner le change à son ennemie, la belette, à la tromper, à l'induire en erreur en lui faisant prendre chaque fois une chose pour une autre. Elle se présente tantôt comme un oiseau, tantôt comme une souris, selon les circonstances et ses intérêts du moment.

La duplicité du chef du gouvernement

Ces vers pourraient servir de devise au parti Ennahdha dont les dirigeants sont passés maîtres dans la pratique de la mauvaise foi. Ce ne sont pas, hélas, les exemples pour illustrer ce comportement immoral et condamnable qui manquent.

Voila un chef de gouvernement et ancien ministre de l'Intérieur issu du parti majoritaire conservateur qui, après les douloureux affrontements de dimanche 19 mai à la Cité Ettadhamen, se trouve bien placé pour reconnaître publiquement que les groupes salafistes jihadistes sont des groupes terroristes. Et que pensez-vous que fît le premier grand commis de l'État à la suite de cette déclaration courageuse? Ordonner de poursuivre ceux qui représentent une réelle menace contre l'ordre public? Dissoudre les organisations comme Ansar Al-Chariâ à l'origine des violences à Kairouan et dans la banlieue de Tunis? Que nenni! Bien au contraire, il considère l'implantation de tentes sauvages de prédication par cette organisation terroriste comme une activité culturelle licite comme les autres activités de ce genre! Si le cœur vous en dit, cherchez la logique dans tout cela!

Une justice clémente envers les extrémistes religieux

Le 14 septembre 2012 restera une date fort triste dans l'histoire de la Tunisie post révolutionnaire en raison des graves répercussions tant diplomatiques qu'économiques qu'eurent ce jour-là les graves déprédations causées à l'ambassade et à l'école américaines à Tunis par des groupes de fanatiques salafistes.

La plupart des responsables politiques du pays n'ont pas tardé alors de condamner ces agressions qui se sont soldées par la mort de quatre jeunes tunisiens et de nombreux blessés. Sans compter l'image ternie de la Tunisie à l'étranger. Ce qui, on l'imagine aisément, n'a pas arrangé, le moins que l'on puisse dire, le sort du secteur du tourisme dans notre pays, ni celui de tous ceux qui en vivent.

Or, voilà que la justice vient de rendre son verdict dans l'affaire de cette calamiteuse attaque contre des intérêts étrangers et dans laquelle vingt salafistes sont impliqués. Le verdict est-il à la hauteur du préjudice subi par la communauté nationale?

Jugez-en par vous-même : deux ans de prison avec sursis pour les accusés! Faudrait-il parler ici de clémence ou de complaisance?

Amina en prison, les LPR libres comme le vent

C'est incomparablement bien moins que ce à quoi risque d'être condamnée une jeune femme de dix-neuf ans, Amina, dont le crime est d'avoir tagué le nom de l'organisation à laquelle elle appartient, Femen, sur le bas du mur de clôture d'un cimetière à Kairouan. Cette manière de protester contre le rassemblement salafiste projeté par Ansar Al-Chariâ, mais interdit par le ministère de l'Intérieur, a valu à la jeune femme un mandat de dépôt et son inculpation, entre autres chefs d'accusation, pour profanation de tombes. Manifestement, certains, jugent le comportement d'Amina plus outrageux que les violences qui ont causé la mort de jeunes tunisiens et l'atteinte portée à l'image de notre pays à l'étranger! Comprenne qui voudra!

Mais personne n'a été vraiment inquiété outre mesure lorsque des activistes et graines de fascistes appartenant à la prétendue Ligue de la protection de la révolution (LPR) du Kram ont enfreint la loi, manifesté sans autorisation et fait des déclarations dans lesquelles ils menaçaient ouvertement de perturber le déroulement des prochaines élections si certains partis qu'ils jugeaient indésirables n'étaient pas interdits. Des responsables de cette Ligue ont pu même être arrêtés... pour retrouver la liberté moins de vingt-quatre heures après! Il faudrait croire que la notion d'atteinte à l'ordre public varie grandement quand on passe de Kairouan au Kram! Vous y comprenez quelque chose vous?

Le reniement des engagements pris

Les plus hauts dirigeants du parti conservateur religieux, Ennahdha en l'occurrence, ont pris part aux nombreuses séances du dialogue national et de concertation destiné à trouver des solutions aux points conflictuels sur lesquels achoppe encore la rédaction de notre future Loi fondamentale. Ils ont pris des engagements clairs sur les accords consensuels auxquels ont fini par aboutir ces discussions.

Leurs représentants à la Constituante ne l'entendent cependant pas de cette oreille et remettent en question ces accords. Qui peut croire vraiment que ces élus ne sont pas tenus par la discipline envers leur parti et qu'ils n'ont fait qu'agir d'eux-mêmes comme des grands?

En réalité, ce n'est pas la première fois que MM. Ghannouchi, Atig et Cie ne reculent pas devant le reniement des engagements pris. Ils arrivent plus souvent qu'à leur tour de souffler tantôt le chaud et tantôt le froid. Ils jouent, ainsi, avec les nerfs de nos compatriotes. D'où les consultations psychiatriques en hausse dans le pays! Vous pensez que cela émeut beaucoup nos pieux dirigeants islamistes?

S'il n'y avait, d'ailleurs, que le manquement au respect des engagements pris! Que dire, en effet, des modifications introduites sur le travail des différentes commissions par le rapporteur général de la Constitution au sein de la commission de rédaction?

Enfin, de quoi, selon vous, dissertent les responsables nahdhaouis en cette période de crise économique et sociale grave que traverse un pays à qui manque le cinquième du budget national? Des moyens et méthodes de renflouer les caisses de l'État et de lui permettre de boucler ses dépenses, payer ses fonctionnaires et réaliser les projets prévus dans la loi de finance en cours? Il y a plus urgent si l'on en juge d'après les activités de MM. Ghannouchi et Khadmi, ministre des Affaires religieuses. La concrétisation des objectifs de la chariâ dans le domaine politique, voila le thème du colloque qui a mobilisé, le 25 mai, les énergies et le personnel du ministre des Affaires religieuses ainsi que tout le gotha nahdhaoui! Qui a la naïveté de croire encore que le projet d'instauration d'un État théocratique a réellement disparu de l'agenda du parti de M. Ghannouchi ?

Un désastre national annoncé

Alors, libre à vous, si après tout cela, vous trouvez qu'il est excessif de parler de la mauvaise foi des dirigeants du parti Ennahdha. Car, la question aujourd'hui, n'est plus de savoir si les Nahdhaouis ont oui ou non adopté la mauvaise foi comme mode de gouvernement! Le vrai problème est de savoir quelle est l'issue de cette politique catastrophique? A quel désastre national annoncé elle risque indubitablement de nous conduire? Mais les prémices de ce naufrage ne sont-elles pas là sous nos yeux? Et n'ont-elles pas pour nom, d'abord, division de la société et guerre civile? Voyez les affrontements avec les forces de l'ordre à la Cité Attadhamen 19 mai dernier... en attendant le retour prochain, promis par Abou Yadh, de nos vaillants combattants et non moins mercenaires en Syrie.

Ces prémices n'ont-elles pas ensuite pour nom somalisation du pays et anarchie généralisée? Voyez les graves désordres qu'a connus Bizerte courant avril après l'élimination du CAB d'une compétition nationale et de nouveau, lundi 28 mai, à la suite de la décision d'interdire les étals anarchiques. Voyez aussi la contrebande active à nos frontières et les découvertes devenues régulières de réseaux de trafic d'armes ou les découvertes fréquentes également de caches de munitions. Ces prémices n'ont-elles pas enfin pour nom effondrement de l'économie nationale et banqueroute de l'État? Voyez la chute vertigineuse de nos réserves en devises, la dévaluation de fait du dinar et l'inflation galopante...

Vous avez parlé à propos des Nahdhaouis de gens honnêtes qui respectent la parole donnée, tiennent à leurs engagements et craignent Dieu? Si vous croyez encore à ces fariboles, il est alors grand temps pour vous d'abandonner ces chimères, de vous réveiller et, surtout, d'agir en conséquence!

* Universitaire.