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Les agressions au milieu naturel en Tunisie se sont produites de manière assez aiguë depuis la révolution, en janvier 2011, et continuent à ce jour à se perpétrer sans que rien n'intervienne pour empêcher le massacre. Etat des lieux et solutions.

Par Mohsen Kalboussi*

Les questions relatives à la préservation de l'environnement ne sont presque jamais posées en temps de crise des sociétés humaines et en périodes de conflits. Assez étonnant de constater qu'on n'évoque pas les problèmes d'environnement dans des périodes historiques marquées par des tensions. Rien qu'au cours de la dernière décennie, nombreux conflits ont vu le jour dans différentes régions du globe dont certaines comprennent des «hotspots» de biodiversité et regroupent des espèces menacées.

Si les populations locales sont surtout préoccupées de leur survie, il est étonnant que des organismes internationaux spécialisés dans la protection de la nature laissent agir sans même lancer des cris d'alarme face aux massacres perpétrés loin du regard des autres.

Cette question se pose de manière aiguë dans les conflits de grande ampleur, notamment les guerres où les moyens utilisés anéantissent tout ou presque sur leur passage.

L'un des grands conflits du siècle passé est la guerre d'Iraq où les moyens utilisés auraient certainement détruit des dizaines d'années d'efforts de conservation, en dehors bien sûr de ses effets dévastateurs connus sur la société irakienne.

Tout dernièrement, le conflit libyen aurait laissé des séquelles sur le milieu naturel de ce pays qui ne sont malheureusement pas encore évalués. Une des conséquences de ce conflit est la migration de nombreuses espèces de grands mammifères en Tunisie, selon des témoignages de personnes habitant les régions limitrophes de la Libye au sud de la Tunisie.

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Coupes sauvages d'arbres à la forêt de Sidi Mechreg.

Etats des agressions du milieu naturel en Tunisie

En Tunisie, les agressions au milieu naturel se sont produites de manière assez aiguë, mais limitée dans l'espace, notamment en février-mars 2011, puis elles ont repris, à une échelle beaucoup plus étendue, en 2012 et continuent à ce jour à se perpétrer sans que rien ou presque n'intervienne pour empêcher le massacre.

Au lendemain du 14 janvier 2011, les plus graves infractions ont consisté en des coupes d'arbres dans des secteurs précis (régions de Bou Hedma, Kasserine...) ou des défrichements de terrains, notamment des nappes d'alfa.

D'autres actes de vandalisme ont concerné essentiellement les aires protégées et ont consisté en l'arrachage des clôtures grillagées, presque partout en Tunisie (Béja, Kairouan...). Une fois les clôtures dégagées, le terrain objet de conservation devient alors accessible, surtout pour le pâturage.

Actuellement, les coupes d'arbres d'essences diverses sont pratiquement continues, notamment dans certains secteurs du nord-ouest du pays, essentiellement pour le charbonnage. Dans certaines zones (Sidi Mechrig), on assiste à un déboisement complet, avec coupes systématiques de gros arbres, destinés à l'industrie du bois.

Là où les coupes risquent d'être préjudiciables au milieu naturel, c'est quand elles s'attaquent à des espèces rares et localisées dont l'étendue géographique est réduite, comme c'est le cas du chêne afarès, dans la réserve d'Aïn Zana. Ces agressions ne risquent pas de s'arrêter si des mesures effectives ne sont pas prises à l'encontre des contrevenants, lesquels sont malheureusement assurés de leur impunité...

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L'outarde Houbara est une espèce en danger à cause du braconnage "autorisé" des émirs du Qatar et de l'Arabie saoudite dans le sud tunisien.   

Le braconnage dans tous ses états

Concernant le monde animal, les transgressions de la loi concernent essentiellement le braconnage et la collecte d'animaux dans le milieu naturel. Certaines de ces pratiques ne sont pas nouvelles, même si elles portent toutes, préjudice à notre patrimoine vivant.

Le braconnage, quoiqu'il constitue une pratique assez courante, s'est amplifié depuis 2011. Les espèces concernées par cette pratique sont surtout le lièvre et la perdrix dont les effectifs ne cessent de diminuer au fil du temps. Il a également affecté des espèces qui étaient à l'abri de ce genre de pratique, notamment celles vivant dans des aires protégées (oiseaux d'eau, antilopes...).

Nous ne disposons pas d'assez d'informations sur ces pratiques, mais elles sont très répandues et ne concernent pas uniquement des personnes ne disposant pas de permis de port d'arme, mais également des chasseurs relevant des associations de chasseurs.

Le braconnage consiste en la chasse d'espèces non autorisées par l'arrêté annuel relatif à la chasse et publié par le ministère de l'Agriculture, mais aussi la chasse en dehors de la période autorisée (pratiquement toute la semaine) et dans des zones interdites à la chasse. Il constitue une des causes directes de la raréfaction de certaines espèces, surtout si ces dernières sont menacées, localisées, et dont les effectifs des populations sont réduits.

C'est le cas notamment de l'outarde houbara et de la gazelle des dunes. Ces deux espèces qui vivent dans les régions désertiques sont objet de grande pression. C'est d'autant plus grave que leur chasse est imputée à des citoyens des pays du Golfe (des Qataris et Saoudiens) qui, semble-t-il, sont «autorisées» à exercer leurs activités avec l'aval des autorités nationales. Les différents appels à intervenir de la part de la société civile ont été jusqu'à ce jour vains et sans effets. Ceci a encouragé les braconniers locaux à s'adonner à la chasse de ces espèces rétorquant qu'il fallait d'abord interdire cette activité aux étrangers pour passer par la suite aux nationaux.

C'est une question qui reste à suivre et qui aura certainement des effets à l'échelle nationale. Elle pose le problème de la souveraineté nationale et la connivence de certains politiciens avec ces lointains émirs, avec tout ce que cela sous-entend.

Le cas de la gazelle des montagnes, ou gazelle de Cuvier, est lui aussi préoccupant, surtout que l'essentiel des effectifs se trouve au Jebel Châmbi, décrété depuis quelques semaines comme zone militaire et terrain d'interventions armées.

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Massacre des gazelles: les émirs passent, la faune trépasse!

Autres formes de braconnage

Certaines autres formes de prélèvements d'espèces animales de leur milieu naturel à des fins commerciales sont encore à évoquer dans ce registre. Commençons d'abord par les tortues marines qui subissent une réelle pression, pour être vendues dans les marchés de poisson. Tout le monde se rappelle les images choquantes de tortues égorgées dans le marché de Moknine en août 2012. Le phénomène ne s'est malheureusement pas arrêté, notamment dans le golfe de Gabès où ces animaux continuent à être capturés et leur chair vendue par la suite, particulièrement dans le marché de poissons de Sfax.

Rappelons que la tortue objet de prélèvements (la caouanne) est une espèce menacée dont la Tunisie a ratifié plusieurs conventions internationales assurant sa protection et où d'importants programmes de conservation lui sont dédiés un peu partout dans le monde. Le fait de faire subir à cette espèce le sort qu'on connaît est très préjudiciable à l'image des Tunisiens et du pays. L'aveuglement de certains pêcheurs et la cruauté de ceux qui égorgent cette tortue pour la vendre ne doivent en aucun cas justifier l'incurie des organismes chargés de sa protection dans les eaux tunisiennes.

La tortue mauresque, ou terrestre, subit également des pressions continues, amplifiées apparemment au cours de cette année où 1.600 individus, destinés à être vendus en Libye, ont été saisis en avril dernier à Médenine. Il faut ajouter à ceci que cette espèce est considérée comme rare dans son milieu naturel, car les densités des populations sont très faibles, et qu'elle subit une chasse continue, pour être vendue dans les marchés locaux ou aux touristes. Malgré de nombreuses campagnes de sensibilisation et des saisies notamment aux aéroports, les ramasseurs de tortues continuent leur pression sur ce qui reste des populations naturelles.

C'est également le cas du caméléon et de la fouette-queue, deux espèces de lézards offerts couramment à la vente. Le caméléon est surtout vendu aux nationaux et pour quiconque prend l'autoroute Tunis-Sousse, au niveau de Aïn Errahma, voit des enfants ou des adultes le présentant à la vente. La pression sur cette espèce est injustifiable, d'autant plus que sa vente est liée à des croyances relevant plutôt de l'irrationnel et que ce genre d'idée ne légitime en rien la pression que l'on fait subir à l'espèce. La fouette-queue, quant à elle, est surtout vendue vivante aux touristes. Cette espèce peu commune, habite des milieux très arides où les conditions ambiantes ne lui offrent pas de possibilités d'accroissement notables d'effectifs. Elle était chassée pour sa viande, mais cette pratique a quasiment cessé, mais l'espèce fait face à cette nouvelle forme de pression...

Pour les mêmes motifs que la chasse du caméléon, la chasse et la vente du varan, des vipères et serpents relève aussi de raisons irrationnelles, notamment pour soigner des cancéreux. La levée de ce genre de croyance, par la multiplication d'exemples, devrait contribuer à réduire la pression sur ces espèces. Pour ce qui est du varan qui constitue le plus grand prédateur des reptiles sahariens, sa raréfaction a pour effet, entre autres, l'accroissement du nombre de vipères, ce qui n'est pas à l'avantage des habitants de ces régions.

Parmi les oiseaux, il est notoire que la pression de chasse sur le chardonneret a pratiquement décimé l'espèce. Cette pression s'est apparemment orientée vers d'autres espèces d'oiseaux chanteurs, pour assouvir les besoins des fanatiques de l'élevage en captivité de ce genre d'animaux. Il faut imaginer que sur un animal restant en vie, combien d'autres auraient péri, aussi bien par le stress que par les manipulations brutales des chasseurs.

D'autres espèces subissent des pressions plus réduites, en raison de la difficulté de les trouver et/ou de les capturer. Il s'agit notamment des rapaces, de l'hyène rayée, de la zorille, du porc-épic, pour ne citer que ceux-là.

Nous nous arrêtons aux éléments cités plus haut, sans nous attarder sur d'autres causes de raréfaction d'espèces animales, dont la destruction des habitats naturels, les animaux de toutes sortes tués sur les routes ou le massacre délibéré d'animaux une fois trouvés dans la nature (scorpions, serpents...).

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Le parc naturel Bou Hedma menacé par les coupes sauvages d'arbres et le braconnage.

Des pistes de solutions

Une des actions à entreprendre est la réorganisation du secteur de la chasse, par l'institution d'un permis de chasse comprenant des exercices tant théoriques que pratiques, à l'instar de ce qui se passe en Europe.

La formation des brigadiers de chasse est elle aussi une action urgente. Les doter de moyens logistiques et techniques suffisants pour l'exercice de leur métier devrait constituer elle aussi une des priorités de l'administration forestière. Le renforcement du cadre législatif national devrait lui aussi être à l'ordre du jour.

Le recrutement de personnel technique et de surveillance dans l'administration forestière est aussi à pourvoir, d'autant plus qu'il existe des techniciens en chômage. Nous avons constaté une réticence de l'administration à embaucher des jeunes, alors qu'on se plaint du manque de personnel. Ce paradoxe devrait être levé et un accompagnement des nouveaux recrutés est à envisager.

Le développement des métiers de l'environnement, pour sortir du cadre classique de fonctionnement de ce système, qui s'est essoufflé depuis des années déjà.

Enfin, le renforcement du contrôle de nos frontières et une formation appropriée aux douaniers est à mettre en œuvre.

Sur le plan social, l'appel au boycott des poissonniers qui vendent la chair de tortue marine ou la sensibilisation des écoliers et jeunes au besoin de protéger notre patrimoine vivant devraient contribuer à réduire la pression sur de nombreuses espèces.

Si la sanction des contrevenants est nécessaire dans certains cas, le fait d'axer la législation de la conservation sur cet aspect-là, comme c'était le cas jusqu'ici, ne peut avoir que des conséquences négatives. Le développement du niveau de conscience général et la formation des principaux acteurs constituent des alternatives plus intéressantes sur le plan social.

Le développement de plans d'action nationaux pour la protection de certaines espèces, notamment celles qui ont un caractère emblématique, permet d'associer l'administration, les scientifiques et la société civile et de rechercher les solutions les plus appropriées à certaines espèces en particulier. Ceci permettrait également de faire des actions concrètes en faveur de notre patrimoine et sortir du cadre des carcans classiques de discours creux non articulés avec une réalité de terrain à laquelle font face uniquement ceux qui sont sensés appliquer la loi ou ceux qui ne peuvent faire que dénoncer des pratiques fort récusables, comme cela a été souligné plus haut.

Illustration: Le Club Faune et Flore Méditerranéennes: action "Sauvons les sloughis" à Douz le 23-25 décembre 2011, et contre le braconnage de l'outarde-houbara dans le sud tunisien.