L'auteur, oncle de Amina, du groupe Femen, rend hommage à sa nièce, et aux trois autres membres du mouvement féministe poursuivies en justice en Tunisie, et dénonce une honteuse machination politique.
Par Sami Sboui*
En tant qu'oncle d'Amina, je tiens à saluer la solidarité des 3 membres du mouvement Femen (deux françaises et une allemande).
Plusieurs membres de la famille d'Amina comme de nombreux Tunisiens ont été touché par le geste et le courage de ces jeunes filles qui ont traversé la Méditerranée avec la noble intention d'exprimer leur solidarité avec une lycéenne de 18 ans qui subit des injustices.
Ce constat est partagé par l'écrasante majorité des Tunisiens qui ont toujours jugé les actes des gens selon leurs véritable intention («enniia») et qui sont aujourd'hui solidaires de ces 3 jeunes femmes.
Cette majorité a reconnu dans la manifestation seins nus la semaine dernière à Tunis, une intention politique de soutien à la jeune tunisienne Amina, en détention depuis le 19 mai.
Dire NON aux projets des excités extrémistes
jMa nièce, Amina, est une adolescente fragile et très généreuse, victime d'un étonnant acharnement politique et judiciaire qui n'a aucune justification. Amina a publié sur internet une photo seins nus, en solidarité avec une campagne internationale des Femen, contre les extrémismes et les machistes. Sa famille a compris que sa motivation est vraiment politique. La véritable intention d'Amina, réagissant à tous les débats chauds menés par des extrémistes sur internet (inégalité des sexes, polygamie, séparation entre hommes et femmes...), était d'être le porte-parole de la majorité silencieuse en Tunisie, pour dire NON aux projets de certains excités extrémistes.
Cet engagement politique a couté cher à Amina. Elle est désormais exclue de tous les lycées de Tunisie. Aujourd'hui derrière les barreaux d'une prison, elle constate que ses camarades de lycées et ses amis ont commencé à passer le Bac depuis hier.
Amina a pourtant tout pour réussir: son discours politique et les interviews télévisées dans lesquelles elle a pu apparaitre ont permis de découvrir ses fortes aptitudes pour la communication, la philosophie, le journalisme, la défense des opprimés...
Amina n'est pas la première dans notre famille à manifester à cet âge un caractère agité, révolutionnaire, mais tous sont aujourd'hui devenus médecins, professeurs d'universités ou ingénieurs.
Nul doute qu'Amina a le potentiel, l'intelligence et la volonté pour devenir avocate, journaliste, universitaire... mais le fait qu'elle soit une fille et que la manifestation de son engagement politique survienne dans une période délicate que travers le pays, remette en cause tout son avenir, et même sa vie.
Amina (18 ans), menottée et traînée devant la justice. Les assassins de Chokri Belaïd courent toujours...
Une honteuse campagne des sympathisants du pouvoir
Amina est en effet menacée dans sa vie même suite aux déclarations d'un farfelu prédicateur salafiste tunisien qui a décrété qu'elle devait être lapidée à mort! La mobilisation énergique de la famille a été telle face à cette fatwa que le prédicateur a retiré la déclaration. Mais le constat que le mal est fait et qu'Amina reste sous menace constante.
Le 19 mai dernier, dans ce contexte, Amina a néanmoins décidé avec un courage étonnant de se rendre à Kairouan pour manifester contre un rassemblement de la mouvance salafiste jihadiste qui n'a finalement pas eu lieu, le gouvernement l'ayant interdit. Amina l'a fait pour exprimer une nouvelle fois sa solidarité, avec sa tante préférée dont le mari a été massacré par des salafistes-jihadistes à qui il a eu le malheur de refuser de donner de l'argent.
Ce 19 mai, Amina a peint "Femen" sur un muret, proche de la place où devait se dérouler le meeting salafiste, sur lequel les adolescents ont l'habitude d'apposer des messages (d'amour, politique...). Amina, reconnue par des salafistes présents sur place malgré l'interdiction de la manifestation, a échappé à un véritable risque de lynchage grâce à la police tunisienne qui l'a protégée en l'évacuant au commissariat pour garantir sa sécurité.
Pendant toute sa présence au commissariat, Amina nous a appelés plusieurs fois pour parler de son action en solidarité avec sa tante. Elle nous a confirmé le fait qu'elle était au poste de police pour sa protection et que dès que l'état d'urgence décrété dans la ville serait levé, elle prendrait le transport pour retourner à Tunis. Mais à la surprise générale, aux informations de 20 heures le jour même, le préfet de police et le préfet de Kairouan ont annoncé l'arrestation d'Amina au motif qu'elle aurait commencé une opération «seins nus» devant la grande mosquée de Kairouan! Ont suivi des déclarations publiques du ministère de l'Intérieur et du ministère de Droits de l'homme selon lesquelles cette opération de seins nus est une provocation à l'encontre de tous les citoyens musulmans; tout cela suivi par une honteuse campagne des sympathisants du pouvoir pour manipuler l'opinion publique et faire d'un mensonge caractérisé une vérité.
Outrés par ce tissu de mensonges et de manipulations, plusieurs journalistes militants ont publié sur Internet l'arrestation par la police d'Amina. Ces vidéos contredisent les déclarations officielles télévisées des préfets, préfets de police, ministère de l'Intérieur et ministère de Droit de l'homme.
Aujourd'hui, Amina croupie injustement dans une prison à 400 Km de ses parents et se trouve, alors qu'elle est jeune et fragile, dans une sorte de grand cellule avec des grands délinquants dont certaines condamnées à perpétuité.
Amina est passée le 30 mai dernier devant le juge qui l'a condamnée à une simple amende pour port prohibé d'un aérosol lacrymogène d'autodéfense. Elle est de nouveau passée devant le juge hier dans le cadre de nouvelles poursuites pour atteinte aux bonnes mœurs et profanation de cimetière, délits passibles de 6 mois et 2 ans de détention.
Une machination judicaire et politique
Le juge d'instruction en charge du dossier laisse la porte ouverte à des peines plus lourdes (6 à 12 ans de prison), invoquant une «association de malfaiteurs», laissant entendre qu'Amina aurait pu agir en bande organisée avec l'objectif de déstabiliser l'Etat! Le juge a également ordonné le maintien en détention d'Amina, le temps d'enquêter!
De son plein gré ou pas, Amina est devenu un symbole des libertés et de l'émancipation des femmes et des démocrates en Tunisie. Un symbole à abattre, toutefois, pour nombre d'intégristes qui cherchent à s'acheter des gages de vertu à l'heure où la répression s'intensifie contre leur aile dure, salafiste ou jihadiste. Sa famille est fière de son action dont l'intention est politique. Sa famille est troublée par cette injustice faite à une (si jeune) femme et par le tissu invraisemblable de mensonges qui soutendent les accusations des préfets de Kairouan.
Est-ce qu'Amina mérite d'être exclue de tous les lycées de Tunisie?
Est-ce qu'Amina mérite de croupir en prison à cause d'une accusation mensongère d'un Préfet?
Je suis très surpris par les tournures que les choses prennent et ai un profond sentiment d'injustice. Amina est une jeune adolescente qui ne manque ni d'audace, ni de courage, ni de générosité, ni d'intelligence... et qui n'a jamais été influençable ou manipulée par qui que ce soit. Je suis fier de ma nièce pour ses engagements politiques. Sa famille est solidaire de ses intentions et a un profond sentiment d'injustice face à l'acharnement politique et judiciaire dont est victime Amina.
La démarche courageuse des jeunes Femen françaises et allemande (19 ans), qui ont manifesté pour Amina, a été bien vue par notre famille, comme par de très nombreux Tunisiens. Contrairement à ce qu'une certaine presse a pu écrire, la majorité des Tunisiens (certes silencieux) sont solidaires avec ces Femens en ce qu'ils ont compris l'intention de leur action, à savoir une démarche politique de soutien à une jeune tunisienne victime. La nationalité (française) de 2 des 3 Femen renforce cette adhésion, du fait du profond lien d'amitié et d'histoire qui lie les 2 pays. Preuve en est la présence de seulement quelques excités devant le tribunal hier à l'occasion de l'audience de Marguerite, Pauline, Joséphine et le fait que, selon la majorité des observateurs, la situation des Femen crée désormais un véritable sentiment de gêne tant au sein du pouvoir judiciaire que politique. La Tunisie reste une terre de sérénité et de modernité. Tunisie reste un pays tolérant et accueillant
L'action des Femen a contribué à maintenir la situation d'Amina dans l'actualité alors même que le pouvoir local voulait étouffer l'affaire en emprisonnant Amina et en renvoyant le procès à des dates ultérieures.
Aujourd'hui l'action des Femen commence à susciter ouvertement de la sympathie et l'opinion publique commence à se retourner contre les instigateurs de ces acharnements et de cette machination judicaire et politique contre et Amina.
Les Tunisiens et la famille d'Amina ont confiance dans la justice tunisienne et dans le fait qu'il y aura un classement sans suite des poursuites engagées à l'encontre des Femen, toutes basées sur une déformation de ses intentions, voire une déformation des faits.
Paris, le 6 juin 2013
* Oncle maternel d'Amina Tyler, directeur de recherche scientifique.