Des élus, qui n'ont pas participé à la révolution, sont en train de rédiger une constitution contre-révolutionnaire. Pleines d'ambiguïtés distillées par les islamistes d'Ennahdha. Il est encore temps de se mobiliser pour faire corriger la copie.
Par Karim Majoul*
Parmi tous les députés de l'Assemblée nationale constituante (Anc) appartenant à Ennahdha et au Congrès pour la république (CpR), aucun ne peut prétendre avoir participé à la révolution. Les leaders de ces partis n'ont pas brillé non plus par des actes révolutionnaires entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, date de la fuite de Ben Ali. C'est le cas de Rached Ghannouchi, Hamadi Jebali ou Moncef Marzouki.
La révolution, ils s'en sont accaparée sans aucun scrupule. Ils ne veulent plus entendre parler de Sidi Bouzid, de Kasserine ou de Thala. Ils voudraient bien, même s'ils ne le disent pas encore ouvertement, virer le général Rachid Ammar, dont le comportement a été fort apprécié par les Tunisiens durant et après la révolution. Et pour cause : il a refusé d'obéir aux ordres de Ben Ali de faire tirer sur les manifestants. Et a contribué, quoique indirectement, à pousser le despote et sa mafieuse de femme dans l'avion qui devait les conduire définitivement en Arabie Saoudite. C'est à lui que nous devons aussi des espoirs de liberté qui n'ont, pour le malheur de la Tunisie, duré que le temps de l'organisation des élections par un homme particulièrement intègre, l'ex-Premier ministre et actuel leader de Nida Tounes, Béji Caïd Essebsi.
Les petits bourgeois, sans idée, sans envergure et sans même de réelles convictions islamistes, qui ont été élus à l'Anc, sont, pour la plupart, choisis par Rached Ghannouchi. Ce dernier n'avait pas de meilleur – ou de plus soumis – autour de lui.
Ainsi, M. Ghannouchi a désormais les mains libres pour étendre sa toile d'araignée et brandir d'une main le Coran et de l'autre distribuer sa manne sur ses désormais très fidèles serviteurs (très reconnaissants et très obéissants).
La majorité à l'Anc a fait mine, pendant plus d'un an et demi, de rédiger la Constitution. Les incroyables péripéties par lesquelles est passée cette Constitution sont incontestablement le fait de Rached Ghannouchi. C'est lui qui a décidé de recourir à la «stratégie de Pénélope», qui consiste à défaire la nuit ce qu'on a tissé le jour pour retarder le moment de parution d'un texte définitif, pour instiller petit-à-petit dans l'opinion publique sa détermination à en faire un document pouvant être interprété de plusieurs façons. Il s'agit de donner l'impression que ce texte respecte les droits fondamentaux de l'homme, l'égalité des sexes et les règles élémentaires de la démocratie, tout en autorisant une interprétation fondamentaliste islamiste basée sur la chariâ.
Ainsi, les «flous» intentionnels dans la rédaction de certains articles ouvrent la voie à la différenciation entre l'homme et la femme et à la possibilité de poursuivre, devant les tribunaux, les «atteintes au sacré», qui peuvent aller (la liste sera très longue) du refus d'accepter une étudiante niqabée dans une université, jusqu'au fait d'exposer la peinture d'un corps féminin quelque peu dénudé.
Ce texte sera livré à l'appréciation de gens comme Ghannouchi, des religieux qui l'entourent et des plus zélés des députés, espérant quelques récompenses pour «services rendus» à leur maître et Guide de la révolution islamique en marche en Tunisie.
Mais il est encore temps de réagir. Pour cela, il faut se mobiliser immédiatement.
* Expert et auditeur international.