L'auteur de cette tribune, oncle d'Amina Tyler, la Femen Tunisienne, exprime ici sa forte solidarité avec les 3 Femen européennes condamnées à Tunis à 4 mois de prison, ainsi qu'avec leurs familles, leurs amis et les collectifs de solidarité «Free Femen»...
Par Dr Sami Sboui*
Comme la majorité des Tunisiens, nous avons appris avec consternation l'aberrante décision de double peine. Double peine car leur noble acte de solidarité et d'engagement politique avec Amina a été à la fois sévèrement condamné par 4 mois de prison ferme et frappé d'un intitulé humiliant de l'accusation/jugement : «acte de débauche et atteinte aux bonnes mœurs et à la pudeur».
C'est horrible pour ces jeunes militantes «féministes» de 19 ans qui ont mené une action à Tunis en solidarité avec Amina et qui se trouvent accusées d'action de proxénétisme et d'exhibition sexuelle.
Un jugement qui porte atteinte à l'intelligence des Tunisiens
Si la partie civile (les 14 pseudo-associations islamiques) avaient choisi un chef d'accusation tel que «trouble à l'ordre public» peut être que la majorité des Tunisiens et l'opinion publique internationale ne seraient pas à ce niveau de contestation et de gêne. Mais c'est l'accusation d'acte de débauche et d'atteinte aux bonnes mœurs qui ne passe pas. «Acte de débauche»? «Intention sexuelle»? «Atteinte aux bonnes mœurs et à la pudeur»?
Ce jugement fait, lui, dans l'atteinte absolue et grave à l'intelligence et à la sagesse légendaire des Tunisiens. Que l'un des avocats de ces associations assimilent les Femen à des prostitués en déclarant que «60% des femmes de Kiev sont des filles de joie!» est une honte. Que ces pseudo- associations aient essayé de se constituer en partie civile en réclamant des dommages et intérêts montre bien à quel point elles sont pitoyables.
Sur le fond, rappelons que «les actions ne valent que par les intentions et chacun n'a pour lui que ce qu'il a eu réellement l'intention (''nawa'') de faire.» L'intention («enni-ia») des 3 Femens est de mener une action vraiment politique et militante en solidarité avec Amina (Free Amina now). Prétendre que les accusées avaient d'autres motivations, comme ont essayé de le faire et ont réussi les 14 associations islamiques parties civiles, est complètement contraire à l'islam. L'avocat tunisien des Femen a bien rappelé que «l'acte de débauche n'est constitué ni matériellement ni intellectuellement... Leur intention était de manifester leur soutien à Amina, et dans les faits, elles ont crié leur indignation devant les grilles du palais de justice... Il s'agissait d'une action de revendication, avec rien qui puisse laisser penser à une action subversive en matière de mœurs».
Personne n'a compris la sévérité de la peine de 4 mois de prison ferme alors qu'il y a aucune récidive, aucun trouble public, ni intention de déstabiliser le pouvoir ou autre forme de tentative d'atteinte à la sûreté de l'État.
Qui acceptera que ces jeunes femmes passent 4 mois en prison alors qu'elles ne font qu'exprimer une solidarité sincère et courageuse avec Amina la musulmane et la Tunisienne, elle-même victime d'un abominable acharnement politique et judicaire.
Les diables muets
Rappelons également : «Soyez courageux et indignez-vous contre les injustices et celui qui se tait sur la justice /vérité est un diable muet (''chai-tan akh-ras'')». Quelle association islamique a protesté contre le préfet (gouverneur, Ndlr) islamiste de Kairouan, qui a faussement accusé – dans les médias – Amina de s'être déshabillée et d'avoir organisé une opération «sein nus» dans la mosquée d'Okba? Quelle association islamique s'est-elle révoltée par le fait qu'Amina ait été exclue définitivement de tous les lycées de Tunisie? Quelle association islamique a manifesté devant un tribunal afin de contester l'injustice d'un pouvoir judicaire qui maintient l'innocente Amina depuis bientôt un mois dans une prison à 400 km de ses parents, le tout avec un acte d'accusation d'«atteinte aux bonnes mœurs et à la pudeur».
Les 3 – Pauline Hillier, Marguerite Stern et Joséphine Markmann – soutiennent une cause juste : la lycéenne Amina Sboui, victime d'une étonnante accusation mensongère et montée de toutes pièces par le préfet («wali») de Kairouan. D'après un des avocats d'Amina, «ce qui arrive à la gamine Amina est horrible. Pouvoir judicaire et politique à Kairouan, l'accusent de s'être déshabillée et d'avoir organisé une opération ''sein nus'' dans la grande mosquée. Bien que de nombreuses vidéos et témoignages l'innocentent, Amina croupit, depuis le 19 mai, dans une prison à 400 km de ses parents...»
Malgré l'injustice et le mensonge institutionnel, le pouvoir local a publié des photos d'Amina menottée, effrayée, humiliée et entourée par 8 brigadiers des forces spéciales et de l'anti terrorisme. Pour Amina, aucune nouvelle audience n'a encore été fixée et elle est maintenue en détention. D'après ses avocats, tout indique que l'affaire va malheureusement trainer en longueur pendant les prochains 6 à 12 mois, le temps que le juge décide si oui ou non Amina s'était dénudée et avait mené une opération «sein nus»!
La foi d'Amina et les mensonges de ses détracteurs
Les Femen et les collectifs féministes franco-tunisiens ont été les premiers et les seuls à s'indigner et à faire entendre une parole de vérité devant un tribunal (Free Amina Now). En tant que musulman et Tunisien, j'ai honte de ne pas avoir été le premier à manifester devant le tribunal. Je suis gêné aussi par l'absence totale des associations musulmanes dans l'expression de solidarité avant l'action des Femen.
Comment ne pas admirer le courage et la détermination des 4 pacifistes. Amina qui a eu le courage d'aller seule à Kairouan pour manifester contre un rassemblement de la mouvance salafiste extrémiste et exprimer une solidarité avec sa tante dont le mari a été sauvagement massacré par des salafistes-jihadistes prompts à lyncher tout contradicteur.
Ce jour du 19 mai, Amina a fait face à ces salafistes obscurantistes qui ont tenté de la lyncher et elle n'a eu la vie sauve que grâce à l'intervention de la Police.
Pauline, Marguerite et Joséphine ont eu le courage de se déplacer à Tunis pour exprimer une solidarité internationale avec Amina. Quelques jours auparavant, elles avaient eu aussi le courage de manifester contre le fascisme, le racisme et l'islamophobie lors d'un rassemblement de skinheads et de l'extrême droite au pied de la statue de Jeanne d'arc, à Paris. Ces mêmes skinheads qui ont massacré, la semaine dernière, un étudiant pacifiste de 19 ans (Clément Méric).
La famille d'Amina admire le courage, l'audace, la volonté et l'engagement militant des contre la haine et l'obscurantisme. Elle admire aussi comment, lors de l'instruction judicaire, les Femen ont montré une étonnante détermination et ont eu le courage de leurs opinions. En les maintenant en détention, certains ont pensé qu'elles baisseraient les yeux, exprimeraient des remords/regrets, imploreraient une clémence contre l'oubli de toutes intentions de récidive. Ces derniers n'ont pas aimé la réponse d'une des «Je suis venue le 28 mai pour faire une manifestation politique et soutenir Amina... Je me réjouis de chaque occasion pour exprimer ma position politique».
Une machination judiciaire et politique
Pauline, Marguerite et Joséphine ont réussi à libérer la parole sur le cas d'Amina. Nombreux sont les intellectuels, journalistes, militants associatifs, Ong internationales et politiques qui se sont depuis déclarés solidaires d'Amina. Aujourd'hui même, la vice-présidente de l'Assemblée nationale constituante et membre d'Ennahdha, Mahrezia Laâbidi, se déclare solidaire avec Amina!
Désormais l'action de Pauline, Marguerite et Joséphine commence à susciter ouvertement de la sympathie et l'opinion publique commence à se retourner contre les instigateurs de ces acharnements et de cette machination judiciaire et politique contre Amina et les Femen.
Les avocats de Pauline, Marguerite et Joséphine vont interjeter appel. J'espère vraiement que ces braves militantes de Femen retrouveront rapidement la liberté et à tout le moins leur honneur par un changement de dénomination des accusations portées contre elles.
Pour les pseudo-associations qui essaient de faire prévaloir l'islam et les proverbes arabes dans toutes les accusations afin d'enfumer le véritable enjeux de l'affaire et l'accusation, je leur dit qu'elles sont une honte. L'islam honore plus les actions des 3 Femen car leur intention était de venir en aide à une musulmane tunisienne horriblement accusée par un pouvoir judicaire et politique sur la base d'un faux témoignage.
Ces Femen se sont indignées sans avoir peur d'un pouvoir injuste alors que ces 14 pseudo-associations n'ont exprimé aucune indignation. L'islam considère ces pseudo-associations comme des «lâches et des diables muets» («chaitane akhrass»).
J'appelle son excellence, le président de la république provisoire, le professeur Moncef Marzouki, le chef du gouvernement provisoire, Ali Lârayedh, et le président de l'Assemblée nationale constituante (Anc), Dr Mustapha Ben Jaâfar, à intervenir pour rendre justice à Pauline, Marguerite et Joséphine.
En effet, les Tunisiens voient mal les représentants de la république tunisienne voyager à travers le monde pour y louer la nouvelle «démocratie» en gestation, alors que des jeunes filles militantes croupissent en prison à cause d'un jugement à connotation sexuelle (débauche, exhibition sexuelle, filles de joie/proxénètes...). Emprisonnée pour des faits mineurs qui n'ont rien d'actes de débauche et d'exhibition sexuelle et qui n'ont, en rien, provoqué de trouble de l'ordre public ni menacé la sécurité ou la sûreté d'un Etat.
Gênée comme la majorité des Tunisiens, la famille d'Amina souhaite vraiement la libération de Pauline, Marguerite,
Joséphine. Elle partage la consternation de leurs familles face à un jugement largement disproportionné. Un tel jugement est une atteinte grave à l'intelligence, la sagesse, et la modération légendaire des tunisiens et de la Tunisie.
* Oncle maternel d'Amina Tyler, directeur de recherche scientifique.