Trop de questions entourent le départ annoncé de Rachid Ammar, chef d'état major des armées. Ce qui ajoute à la perplexité des Tunisiens et à leur manque de confiance dans l'actuel pouvoir.
Par Aymen Mahjoub*
Rachid Ammar, chef d'état-major des armées de la Tunisie, l'homme fort de la période d'après la fuite de Ben Ali, le patron de la grande muette, s'est livré, lundi soir, à de multiples confessions.
Le général Rachid Ammar s'était tenu, jusque là, à un devoir de réserve et au mutisme le plus total. Il a finalement rompu le silence dans un entretien exclusif avec l'émission phare ''9 heures du soir'', de la chaîne de télévision Attounissia, qui touche une majorité des téléspectateurs tunisiens.
Le patron de l'armée tunisienne a choisi de faire son apparition le 24 juin, jour de la commémoration de la création de l'armée (créée en 1957), pour provoquer ce que certains qualifient de séisme politique: il jette l'éponge et fait valoir son droit à la retraite.
Cette information est capitale, et relance le débat autour des questions essentielles pour les Tunisiens, celle de la sécurité du territoire, dans son intégralité.
Au-delà des informations, dont il nous a fait part, son refus d'accéder à l'investiture suprême, le 15 janvier 2011, les réponses à peine maquillées à ses détracteurs, ce qu'on peut surtout retenir, c'est cette phrase: «L'assassinat de Chokri Belaïd - 6 février 2013 - aurait pu signer l'acte de décès de l'État tunisien».
Même s'il se refuse, tout au long de son intervention télévisuelle, d'être taxé d'intervenir dans les affaires politiques du pays, il aurait été à l'origine de la proposition de l'ex-chef du gouvernement, Hamadi Jebali, de constituer un gouvernement de technocrates.
Tout compte fait, Hamadi Jebali peut toujours se prévaloir du fait d'avoir écouté une proposition émanant du chef d'état-major des armées, sans consultation du parti dont il est le secrétaire général. Cela soulève plus d'interrogations qu'à l'époque où M. Jebali avait annoncé que cette initiative était la sienne. Quel rôle a donc joué le général Ammar à cette période (qui coïncide avec le départ de Abdelkrim Zbidi, ancien ministre de la Défense (mars 2013).
Le capitaine quitte-t-il le navire en pleine tempête?
Serait ce donc une porte de sortie honorable laissée au général Ammar de faire ses adieux aux Tunisiens, avant de faire prévaloir son droit à la retraite, en pleine période de troubles, d'actes terroristes au mont Châmbi?
Le général a déclaré : «Je ne démissionne jamais. Et je n'accepte pas d'être démis de mes fonctions. Mais j'ai demandé de bénéficier de mon droit à la retraite».
Ceci reste trop peu convaincant pour la plupart des Tunisiens. En témoigne la multitude des messages d'inquiétude de ces derniers sur les réseaux sociaux juste après l'annonce télévisée.
Oui mon général, vous avez le droit au repos. Mais pas durant cette période, pas avec ce qui se passe au mont Châmbi, pas avec cette phase de transition qui ne semble pas avoir une fin, pas avec cette Tunisie qui vous est chère et que vous voyez emprunter le chemin d'une somalisation, pas quand vous voyez dans la Tunisie d'aujourd'hui «des indicateurs qui font peur» et qui vous «empêchent de dormir».
«Même si les coups de couteaux dans le dos venaient de tous les côtés», ce n'est pas une raison pour quitter le navire. Vous-vous êtes mis dans la posture du garant de la révolution. Vous êtes le dernier rempart contre toute tentative d'usurpation de cette révolution à laquelle vous avez tant donné.
La suite?
Ce départ intempestif serait-il donc une façon pour le général de prendre rendez-vous avec la Tunisie? Cette Tunisie qui a tant besoin de figures politiques ayant la légitimité de rassembler, comme Béji Caïd Essebsi. Il est indéniable que ce personnage jusque là trop secret saura forcer la sympathie et l'amour des Tunisiens, qu'il est une figure déjà populaire, et qui bénéficie de la réputation de celui qui a dit «non» à Ben Ali.
Aurait-il une autre vision pour la Tunisie? Aurait-il cédé à ceux qui trouvaient que l'armée n'était pas jusqu'ici «garantie»? Ou cherche-t-il simplement le repos pour se consacrer réellement à sa famille? Et si c'est le cas, pourquoi a-t-il repoussé la date de son départ à la retraite depuis 2006? Pourquoi se précipiter maintenant? Et pourquoi l'annoncer à télévision?
Trop de questions entourent le départ annoncé du chef d'état major des armées. Ce qui ajoute à la perplexité des Tunisiens et à leur manque de confiance dans l'actuel pouvoir.
* Ingénieur chef de projet, responsable de la Commission de Communication Nida Tounes France Nord.