Que peuvent raisonnablement attendre les Tunisiens de la visite d'Etat du président français François Hollande, les 4 et 5 juillet, à Tunis? Décryptage...
Par Hédi Sraieb*
Après le Maroc et l'Algérie, François Hollande se devait de rendre une visite d'Etat à notre pays.
Les sujets d'intérêts mutuels ne manquent pas. Reste que le «timing», de l'avis de nombreux observateurs, n'est pas des plus favorables. D'un côté, la cote de popularité au plus bas dans les sondages oblige le président français à la plus grande prudence dans ses dires et gestes; de l'autre un climat de tensions sociales et de crispations politiques qui devrait conduire le gouvernement actuel à adopter une posture de «profil bas» et éviter les sujets qui fâchent.
Vrais accords ou effets d'annonce?
Soyons juste! Les deux chancelleries ont rivalisé d'effort et de pugnacité pour aplanir certains des contentieux. Alors de bonnes nouvelles du côté des visas d'admission? Un geste vis-à-vis de la communauté des étudiants? Fort possible, mais pas plus! L'intégration des universités tunisiennes dans les programmes type Erasmus attendra.
Dans le même registre, faut-il attendre un changement profond dans la politique d'«immigration choisie»? Rien n'est moins sûr! Pas grand espoir en effet de voir le contenu du protocole bilatéral (9.000 migrants autorisés sur une présélection de métiers) profondément remanié et ouvrant de nouvelles perspectives.
Les questions de sécurité feront-elles l'objet d'annonces? Peu probable.
Le nationalisme ombrageux de notre gouvernement «provisoire» ne l'a pas empêché d'accepter fort discrètement et d'intérioriser (le mot convient) la logique d'auto-surveillance des frontières de l'espace Schengen pour le compte de l'Europe. Il est vrai contre quelques subsides et matériels fournis gratuitement (l'arrivée de 6 avisos, ces jours-ci, en témoigne).
Mais discrétion diplomatique oblige, rien ne devrait filtrer s'agissant de la gestion des espaces sahariens comme de la longue frontière tuniso-algérienne. Exit le terrorisme jihadiste!
Laurent Fabius à Tunis, le 14 mai, pour préparer la visite de Hollande.
Dans le même ordre d'idée, de silence embarrassé, la question syrienne pourrait aussi passer à la trappe. Il est vrai que la diplomatie tunisienne n'existe plus, à proprement parler, et déjà depuis fort longtemps sur les grandes questions internationales.
50 hommes d'affaires, 10 ministres et 5 parlementaires
Aussi et c'est probablement les questions économiques qui occuperont les devants de la scène. Plusieurs accords et protocoles sont prévus. Il est vrai que la France a pris un certain retard en dépit de sa prédominance économique sur ses principaux rivaux. Allemands et Anglais ont fait des percées remarquées dans le secteur des énergies fossiles ou renouvelables.
Les deux chancelleries n'ont pourtant pas aussi ménagé leurs efforts. Medef et Utica s'activent depuis bientôt 6 mois pour concocter de «nouvelles perspectives de partenariat». Un grand raout (300 DT de frais d'inscription) conjointement sponsorisé par les deux organisations patronales devrait clore en apothéose le séjour du président français.
En effet, pas moins de 50 hommes d'affaires sur une délégation politique composée de 10 ministres et 5 parlementaires, accompagneront le président français. Un président qui lui aussi aura intégré dans ses prérogatives, air du temps oblige, cette nouvelle fonction de VRP du commerce français. Mais faut-il pour autant espérer des annonces importantes qui révèleraient un changement véritable de cap, augurant une ère nouvelle de co-développement? Peu probable, si ce n'est sans doute le soutien de la France à l'accession au statut de «partenariat privilégié» (sic) que notre voisin et non moins concurrent, le Maroc a acquis.
D'évidence, les questions qui fâchent vraiment seront soigneusement évitées ou pour le moins édulcorées. Celles des biens mal-acquis aujourd'hui clairement identifiés au moins dans leur dimension immobilière? Ceux-ci peuvent en effet faire l'objet d'une liquidation judiciaire.
Celle des créances françaises sur l'économie tunisienne?
Pas moins en effet de 14% de l'encours de la dette extérieure du pays – en bilatéral direct –, et probablement autant via les véhicules européens (BEI, CE) ou encore via les marchés financiers (institutions et banques françaises). Aussi, on est en droit de s'interroger si le président Hollande réitérera le «coup» de l'Allemagne de Merkel qui, dans sa très grande mansuétude à l'égard de la révolution tunisienne, a négocié et réussi à convertir une large partie de sa dette due en investissements (ainsi prépayés d'avance). On croit rêver!
La dette tunisienne à la France
Peut-on s'attendre au contraire à ce que François Hollande honore sa promesse de campagne de transformation d'une partie de cette dette en dons?
Que pourront bien, aussi, contenir ces fameux accords et protocoles du partenariat?
Des PPP (partenariat public privé) dans divers domaines, sans aucun doute! Au travers d'une nouvelle égérie, très à la mode mais outrageusement mystificatrice, des techniques de financement de projets d'investissement (mais aussi de partage des recettes).
Quelques indiscrétions ont suintées: il serait question d'un pont à péage à Bizerte, de nouvelles cimenteries.
Mais attendons pour juger!
Force sera-t-il toujours tant de constater que les conjonctures que traversent les deux pays, et les conditions même du dialogue politique autour de la définition d'un nouveau partenariat ne peuvent permettre d'aller au-delà d'un horizon jugé de part et d'autre comme indépassable.
Bien sûr, nos compatriotes ne manqueront pas de commenter, voire de compter les points.
Un luxe qu'ils peuvent désormais et effectivement s'offrir, en attendant des jours meilleurs.
* Docteur d'Etat en économie du développement.