Le fondateur et rédacteur en chef d'''Al Qods Al Arabi'', Abdelbari Atwan a annoncé son départ surprise après 25 ans de loyaux services. Il nous manquera sans doute, et avec lui cette lumière d'intelligence et de conscience d'un monde arabe en perdition.
Par Karim Ben Slimane*
Je ne suis pas certain que la nouvelle ait eu un quelconque retentissement dans les esprits des Tunisiens ni qu'elle soit dans l'absolu susceptible d'intéresser quiconque dans le vacarme de la politique politicienne et en pleine saison de vices et caprices ramadanesques et estivaux. Abdelbari Atwan, rédacteur en chef du journal londonien de langue arabe ''Al Qods Al Arabi'', a annoncé dans un édito publié le 9 juillet, à la surprise générale de son lectorat et de son équipe, son départ du journal qu'il a créé il y a 25 ans.
La nouvelle est importante car elle nous donne sans doute l'occasion de réfléchir sur la presse arabe sur son présent et son devenir. ''Al Qods Al Arabi'' est sans conteste un journal emblématique dans le paysage indigent et mièvre de la presse arabe écrite. Emblématique car il est lu par les Arabes du monde entier ceux dans l'exil mais aussi ceux dont le gouvernement offre une portion congrue de liberté d'expression. Au fil du temps il a pu séduire un large spectre de plumes libres et rebelles des quatre coins du monde arabe. Chacun en parlant de son pays et de sa situation parlait à tous les Arabes transcendant les frontières factices et interrogeant subtilement le for intérieur de l'être arabe.
Le mythe fondateur d'''Al Qods Al Arabi'' que Abdel Bari Atwan a su incarner a été le remembrement de la personnalité arabe autour du rêve de reconquérir Al Qods. Ce journal a été le microcosme intellectuel virevoltant d'un monde arabe en léthargie. Il est pour ce même monde arabe, ce que la brise est dans le désert, aussi vite elle vous caresse la joue elle s'estompe pour vous ramener brutalement à la dure réalité de la perte de tout. Car lire ''Al Qods Al Arabi'' procure un sentiment souvent coupable qu'il est possible d'être Arabe. Piqures de rappel régulières mais savamment dosées de sujets qu'on aimerait oublier car on pense qu'ils nous accablent et nous clouent au sol tant nous avons l'impression qu'ils sont insolubles. Palestine, Iraq, Soudan, dictatures, banqueroute morale, ignorance en action et surtout une infertilité intellectuelle criante des sujets dont nous nous sommes lassés, alors qu'ils sont pourtant la preuve vivante de notre longue agonie.
La tranquillité de l'esprit est souvent oublieuse. L'existence est, quant à elle, inquiète et inquiétante. Nous sommes nés dans la détestation de ce que nous sommes et nous nous évertuons à tenter d'être ailleurs.
L'évitement est le chemin le plus sûr vers la tranquillité. Ainsi sommes-nous devenus des étrangers à notre propre langue et culture. J'en suis une preuve. Lire ''Al Qods Al Arabi'' est un exercice inquiétant. La lumière au bout d'un tunnel obscure donne de l'espoir mais décourage vite car le chemin, même s'il en existe un, peut être interminable. C'est dans l'absence de cette lumière que nous avons grandi et c'est sa présence qui nous inquiète.
Certains penseurs et médias ont pris acte de l'absence de cette lumière, ''Al Qods Al Arabi'' l'a au contraire entretenu. Aujourd'hui son grand témoin quitte le navire et nous nous interrogeons, la lumière sera-t-elle toujours là?
*Spectateur rigolard.