L'auteur, députée européenne, avertit ses concitoyens européens sur les conséquences néfastes d'une éventuelle inscription du Hezbollah, le parti chiite libanais, sur la liste noire des organisations terroristes de l'Union européenne (UE).
Par Malika Benarab-Attou*
Le mardi 9 juillet 2013, la commission des Affaires étrangères du Parlement européen a organisé une audition sur la perspective d'inscrire l'aile militaire du Hezbollah sur la liste noire des organisations terroristes de l'Union européenne, une demande qui émane de la Grande-Bretagne appuyée par les fortes pressions américaines et israéliennes.
Le dossier est remis sur la table depuis l'attentat de Bourgas, en juillet 2012, et la tentative de complot déjouée par les autorités chypriotes, en octobre 2012, tous deux imputés au Hezbollah.
Un mouvement anti-colonisation israélienne
Aujourd'hui, les résultats de l'enquête ne permettent pas d'incriminer irréfutablement le Hezbollah pour l'attaque du bus à Bourgas. Je considère que des suppositions et le manque de preuves ne peuvent pas être à l'origine du blacklisting du Hezbollah, ce serait une grave erreur.
Au cours de cette réunion, le Dr. Florence Gaub, Senior Analyste à l'Institut d'Études de Sécurité de l'Union européenne, a déclaré qu'il n'est pas possible d'opérer la distinction entre l'aile militaire et l'aile politique du Hezbollah en raison de ses «multiples identités (parti politique, activité terroriste, mouvement islamiste, groupe de résistance, fournisseur de soin de santé)». Loin de minimiser la gravité des actes commis par le Hezbollah, je pense qu'il ne faut pas le confondre avec d'autres groupes terroristes comme Al Qaida. En effet, comme l'explique le Dr. Gaub, «le Hezbollah est un outsider qui fonctionne contre des cibles israéliennes et non européennes, il se bat contre la colonisation d'Israël».
Pour être efficace dans ses décisions et rester crédible, l'UE doit se baser sur des analyses pertinentes qui prennent en compte les réalités historiques et politiques. Le Hezbollah, élu démocratiquement par la communauté chiite libanaise et soutenu par le ministre des Affaires étrangères libanais, Adnan Mansour, participe actuellement à la stabilité du Liban. Qu'en sera-t-il demain si son nom apparaissait sur la liste noire des organisations terroristes de l'UE?
On pourrait craindre une radicalisation du mouvement, une escalade de violence face à ce qui pourrait être perçu comme le non-respect de la légitimité des urnes; un signal extrêmement négatif à l'approche des futures élections.
Par le passé le dialogue entre l'UE et le Hezbollah a porté ses fruits; il a servi à désamorcer pas mal de crises et de tensions. Le fait de continuer à dialoguer avec le Hezbollah ça ne veut pas dire que l'UE cautionne ses activités et ses positions.
Un blacklisting aux conséquences dangereuses
Un des intervenants de cette réunion, Han Joachim Giessman, directeur de la Fondation Berghof et Président du Global Agenda Council sur le «terrorisme» au Forum économique mondial, rappelle que «cette sanction affecterait davantage des grandes communautés que le noyau dur du Hezbollah et limiterait, voire même bloquerait, les processus de négociation, mettant à mal tout le travail des médiateurs européens». Si l'UE s'engage dans ce blacklisting du Hezbollah elle risque d'être perçue comme partiale dans les débats qui suivront.
La France qui se joint à la demande de la Grande-Bretagne invoque, à juste titre, l'engagement du Hezbollah dans le conflit syrien. Mais il faut tout de même rappeler que c'est le Mouvement du 14 Mars de M. Hariri qui a, le premier, développé des réseaux d'armement des rebelles.
C'est donc une situation complexe qui cache un agenda politique sur fond de pressions américaines et israéliennes. Dans le même sens, j'ajoute que la législation anti-terroriste deviendrait davantage arbitraire et que cela ouvrirait la voie à une gestion au cas par cas de la lutte contre le terrorisme.
Si le Hezbollah était ajouté à la liste noire des organisations de l'UE, les intérêts français (soldats, centres culturels, ambassadeur français etc.) au Liban deviendraient des cibles potentielles et le processus de paix israélo-palestinien pourrait davantage être affaibli. Le Liban entrerait dans une crise politique dangereuse pour sa stabilité et par échos renforcerait l'instabilité que connait déjà toute la région et ouvrirait une brèche à la récupération politique et idéologique par certains acteurs comme l'Iran et les pays du Golfe.
Je m'oppose à cette inscription sur liste noire car elle précipiterait l'UE dans une importante crise politique internationale et anéantirait les possibilités de sortie de crise qu'offre un dialogue avec le Hezbollah.
*Députée Les Verts/ALE, Parlement européen.