L'auteur répond, ici, à l'aveuglement du gouverneur de Kairouan, Abdelmajid Laghouen, qui préfère mettre en avant les actions inefficaces de son administration et s'offusque des critiques des représentants de la société civile.
Par Mohsen Kalboussi*
Le gouverneur de Kairouan s'est emporté face aux représentants de la section de Kairouan du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) auquel appartient l'auteur de ces lignes, les accusant de troubler les efforts de développement dans la région.
Ce que le gouverneur n'aimerait pas voir
Nous publions, ci-dessous, notre réplique à l'emportement du gouverneur de la région.
1- Le classement de la région de Kairouan parmi les régions les moins avancées en Tunisie a été fait par le ministère de Développement régional, en 2012. Si le gouverneur n'est pas au courant de ce classement, cela dénote une négation d'une évidence et, si le gouvernorat n'est plus classé parmi les régions les moins avancées en Tunisie, qu'on nous le fasse savoir, preuves et données à l'appui, et nous en prendrons acte !
2- Les réflexions sur le développement régional sont parmi les plus lancinantes en Tunisie d'après le 14 janvier 2011, et il n'est plus du ressort de l'administration toute seule d'y apporter des réponses. La société civile a le plein droit d'y contribuer. Encore plus, cette même société civile se doit de chercher des alternatives aux échecs répétés des politiques menées.
3- Certaines questions demeurent pendantes, et personne ne dispose de réponses claires pour y faire face, notamment le très fort taux d'analphabétisme enregistré dans la région. Si effectivement l'école ne présente plus l'attrait qu'elle a connu dans les décennies passées, ce fait est général, et ces taux ne doivent pas s'écarter de la moyenne nationale. Si les faits le contredisent, il y a lieu de creuser cet aspect qui doit certainement être parmi les causes de nombreux faits sociaux, notamment le taux de pauvreté élevé et le grand pourcentage de familles vivant sous perfusion grâce aux aides sociales accordées par le ministère des Affaires sociales. En effet, ce taux est supérieur à 20 % dans toutes les délégations et dépasse le quart des ménages dans deux parmi elles.
4- Une des conséquences de l'état de développement de la région est son solde migratoire négatif, et il l'est dans 10 délégations sur les 11 que compte le gouvernorat. Comment expliquer cet exode (appelons les choses par leur nom) si ce n'est par manque d'accès aux services minimaux dont a besoin chaque citoyen de ce pays?
5- Le taux de raccordement au réseau de l'eau potable est supérieur à 40 % dans uniquement 5 délégations et est même inférieur à 20% dans la délégation d'El Ala. Comment ne pas s'offusquer et s'indigner face à cette réalité, surtout que l'on voit sur les réseaux sociaux des images de familles se ravitaillant dans des oueds en pleine saison estivale! Il est notoire que les structures chargées de l'approvisionnement en eau potable en milieu rural (en dehors de la Sonede) vivent des problèmes de gestion récurrents. A notre connaissance, ces structures n'ont jamais été inquiétées de leur passif : est-il encore temps de traiter cette question?
6- Certaines questions n'ont pas été traitées dans les deux précédents articles, notamment celles liées à l'environnement, au rendement de l'agriculture, au transport, à l'infrastructure...
Des problèmes récurrents, une administration impuissante
Pour n'évoquer que les problèmes récurrents de l'environnement de la région, soulignons le fait que le problème des déchets ménagers n'a jamais été réglé, notamment en milieu rural où les dépôts de déchets ménagers s'amoncellent aux abords des agglomérations sans qu'une seule mesure ne soit prise pour trouver des solutions à ce problème. Les campagnes organisées de temps à autre pour le ramassage partiel de ces dépôts d'ordures ne résolvent en rien le problème, et il faut que des solutions appropriées soient apportées à ce problème, sans oublier les déchets urbains au niveau des délégations.
Une des solutions serait la valorisation de ces déchets par le compostage ou l'extraction du gaz méthane, surtout qu'une bonne proportion des déchets accumulés correspondent à de la matière organique. La société civile de la région pourrait contribuer à apporter des solutions à ces problèmes, à l'instar de certaines initiatives développées dans d'autres régions de la Tunisie.
Le problème de la qualité des eaux potables est une autre facette des problèmes d'environnement, et il a d'ailleurs été souligné que la nappe phréatique de Sbikha serait polluée par les fosses sceptiques, à défaut d'une station d'épuration dans le village. Les habitants ont d'ailleurs tendance à ne pas boire l'eau desservie par la Sonede. Même si des données ne sont pas disponibles sur la réalité du problème, il est d'ailleurs recommandé aux autorités de lever toute équivoque relative à cette question et programmer une station d'épuration pour la région.
D'un autre côté, la valorisation des parcours et leur aménagement adéquat permettraient d'atténuer leur dégradation. En effet, nombreux terrains ont tendance à se dégrader à vue d'œil, notamment par la disparition de leur couvert végétal et son remplacement par des espèces non consommées par le bétail ou toxiques, notamment les Chénopodiacées ou le Peganum harmala (connu en arabe sous le nom de Harmal).
Ne parlons pas de la réduction de la couverture végétale naturelle arborescente et arbustive confinée de plus en plus aux zones montagneuses et d'altitude. D'ailleurs, elle continue à subir de la pression, par arrachage (charbonnage) ou par dégradation qualitative (prédominance du maquis aux dépens de la forêt). La faune n'est pas en reste, puisque de nombreuses observations démontrent une remontée vers la région d'espèces connues pour habiter les régions désertiques et dont la limite de distribution atteint désormais le gouvernorat.
Une des pistes à développer dans cette région, est le recours à l'énergie solaire, aussi bien à l'échelle des ménages qu'à une échelle beaucoup plus importante. Au moins, les établissements publics se devraient de valoriser leurs toitures par l'installation de cellules photovoltaïques qui réduiraient leur consommation d'énergie.
Enfin, comme souligné plus haut, les problèmes de développement régional présentent une multitude de facettes et nécessitent différentes approches et de nombreux acteurs, dont la société civile.
Vouloir réduire le développement à certains aspects techniques, ou le réserver au bon vouloir de l'administration est un non-sens historique, puisque cette dernière a effectivement échoué à apporter des solutions à certains problèmes récurrents, évoqués dans les précédents articles.
* Universitaire.
Illustration: Abdelmajid Laghouen, gouverneur de Kairouan.
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Le développement régional au gouvernorat de Kairouan : un état des lieux inquiétant (1/2)
Développement régional au gouvernorat de Kairouan: les prémisses d'un échec annoncé! (2/2)