Les dirigeants politiques, en Tunisie, lorsqu'ils sont obnubilés par leurs seuls intérêts partisans et personnels, répètent consciencieusement, mécaniquement, les mêmes erreurs, et sont autant sourds qu'aveugles aux enseignements de l'histoire.
Par Jamila Ben Mustapha*
La grande promesse du soulèvement du 14 janvier 2011 était «la coupure avec le passé» et les pratiques politiques de l'ancien régime. Il est certain qu'on ne peut pas demander qu'un projet si difficile et si complexe puisse se réaliser en 2 ans. Mais on aurait pu espérer voir, depuis, les prémisses encourageantes d'une volonté de réorganisation de la vie politique, selon de nouveaux critères.
Le retour à d'anciennes pratiques
Or, que constatons-nous, aujourd'hui? Le changement de personnes a-t-il été, aussi, même dans une faible mesure, l'indice d'un changement de système de gouvernance?
Cela est bien loin d'avoir été le cas car nous sommes obligés de constater, plutôt, des signes multiples du retour à d'anciennes pratiques. Les actions en justice contre les adversaires politiques font leur apparition. Mais n'y a-t-il rien de pire, pour les opposants du passé, que de devenir les persécuteurs d'aujourd'hui?
Et pourquoi vouloir nous convaincre, à tout prix, que les hommes politiques les plus influents de l'ancien régime étaient des monstres quand nous observons que certaines de leurs anciennes méthodes retrouvent un nouveau souffle comme la pratique d'une justice aux ordres avec le système des deux poids deux mesures, le manque de volonté de s'attaquer à la corruption, la tentative d'éliminer les adversaires politiques par des moyens déloyaux, comme les fermetures de lieux de réunion?
Entre les autocrates d'hier et les prétendus adeptes de la démocratie actuels, entre les gouvernants du passé, qui condamnaient les citoyens pour de simples idées, et ceux d'aujourd'hui, qui ont la tentation d'emprunter le même chemin qu'eux, à vouloir, par exemple, faire passer les gens en justice pour ce qu'ils disent, et non, pour ce qu'ils font, je trouve que les seconds sont bien plus critiquables que les premiers et ont beaucoup moins d'excuses, à agir de la sorte.
En effet, les gouvernants d'hier – ceux appartenant à l'ère bourguibienne, essentiellement – n'ont pas été, préalablement, opposants démocrates, mais, plutôt, militants pour une autre cause, celle de la décolonisation. Ils n'ont pas bénéficié d'un «anti-modèle» national ayant existé avant eux et qui leur aurait indiqué, clairement, le chemin à ne pas suivre; ils ont été conséquents avec eux-mêmes; les choses étaient claires puisque l'urgence de l'heure était de bâtir un pays, un État, et non, une démocratie.
Par contre, ceux qui sont passés du statut d'opposants à celui de gouvernants, ceux qui ont vécu, souvent, dans leur chair et la privation de leur liberté, ce que cela veut dire qu'être condamné pour ses idées, ceux qui ont expérimenté les deux côtés de la barrière sont plus coupables que leurs anciens persécuteurs, à être tentés de leur ressembler. D'une part, ils savent, de façon concrète, pour l'avoir combattue et en avoir subi les méfaits, ce qu'a été la dictature; de l'autre, ils prétendent être les instaurateurs de la «vraie» démocratie, et non de celle dont le régime de l'ancien président Ben Ali ne parlait autant que pour lui refuser toute application réelle. Ils portent, actuellement, une plus grande responsabilité que tous leurs prédécesseurs de devoir réaliser ce but.
Le discours vide sur la démocratie
À ce propos, la démocratie risque-t-elle de devenir un mot magique que l'on serait condamné à invoquer comme une formule incantatoire, serait-elle un vœu pieux, un mirage que l'on déploierait pour faire patienter les masses, tout cela parce que, dès que l'on est installé au pouvoir, l'on retrouve les irrésistibles réflexes tendant à le monopoliser pour soi, les privilèges nouvellement acquis entraînant une amnésie totale, concernant les principes d'hier auxquels on prétendait croire?
Cette rhétorique, ce discours vide sur la démocratie, non concrétisé dans les faits, nous l'avons subi pendant 23 ans et nous ne pourrons plus le supporter, à l'avenir, étant donné qu'il est l'objet de notre rejet viscéral.
Toutes ces erreurs ayant, donc, été parcourues et expérimentées, le citoyen, dorénavant averti, est en droit d'attendre un vrai «changement», même si ce mot a été, on ne peut plus dévalué, dans le passé, et le temps est venu, pour le gouvernement, d'être acculé à agir différemment. Il n'y a pas d'autre solution que de passer des folles promesses électorales dont nous avons été gargarisés, puis des agendas concernant l'étape à venir, proposés à plusieurs reprises et non respectés, à l'inévitable application progressive de la démocratie, dans les faits, à la réduction de l'écart et des contradictions entre le dire et le faire, d'autant plus que de multiples moyens de contrôle du pouvoir, par la société, existent, maintenant.
Et puis, vouloir effrayer les gens, après le 14 janvier, lorsque le bouchon de la peur a sauté, par la menace de la justice, alors que ce gouvernement n'est plus légitime depuis 9 mois, et qu'il peine à achever les grands dossiers pour lesquels il a été élu – vérité désagréable à entendre, mais bonne à rappeler – ne fera qu'attiser le goût de la provocation, de la révolte et de la rébellion. On ne peut pas mieux faire pour renforcer le mouvement Tamarrod!
Décidément, les politiques, lorsqu'ils sont obnubilés par leurs seuls intérêts partisans et personnels, répètent consciencieusement, mécaniquement, les mêmes erreurs, et sont autant sourds qu'aveugles aux enseignements de l'histoire.
S'il y a une indigence dont nous souffrons, à côté de beaucoup d'autres, c'est celle de l'existence d'un nombre, même, très restreint, de politiciens véritablement patriotes, qui seraient des hommes d'État, possèderaient de la grandeur et inspireraient, spontanément, du respect (plutôt que de faire, comme c'est le cas de certains, la joie des caricaturistes et de tomber dans la pire sorte de comique, celui qu'on provoque, involontairement).
Tout ce que nous demandons, à ce propos, c'est d'être démentis, à l'avenir.
* Universitaire.
* Les titre et intertitres sont de la rédaction.