constituante 7 23A l'occasion du 56e anniversaire de la république, le 25 juillet, la Coordination des associations pour la défense des valeurs de la république a publié la déclaration ci-dessous : «Pour une république civile et solidaire».

Nous, membres de la société civile, réunis en coordination de défense des valeurs de la république dont on célèbrera, le 25 juillet 2013, le 56e anniversaire, ayant pris connaissance du projet de la constitution dans sa version définitive du 1er juin 2013, ‐ nous nous adressons par la présente déclaration aux autorités publiques provisoires en charge de la transition politique dans l'espoir de faire entendre notre voix, convaincus que l'édification de la démocratie et de la solidarité sociale, la reconnaissance des droits humains universels et des libertés fondamentales, l'égalité de tous sans discrimination de sexe, de race, de naissance, d'opinion, de religion, de conditions sociales sont des fondamentaux dont la méconnaissance mettrait en péril l'unité de la nation et le vivre ensemble.

- Si nous enregistrons avec satisfaction les améliorations apportées aux deux premières versions du texte, nous demeurons fortement préoccupés par les multiples défaillances, contradictions, ambiguïtés et silences d'un texte censé inaugurer l'avenir démocratique du pays et asseoir la citoyenneté. Notre inquiétude est grande concernant diverses dispositions du projet ayant trait à la nature de l'Etat, aux libertés, aux droits des femmes, à la justice sociale.

Sur la nature de l'Etat

- Nous dénonçons les remises en cause du caractère civil de l'Etat qu'introduit par détour l'article 141 qui érige l'islam en religion d'Etat et en fait une norme intangible.

- Nous alertons sur les dangers d'une telle disposition qui, se renforçant des innombrables références aux enseignements de l'islam (taâlim al islam), à ses fins (maqasid), à l'identité arabo-musulmane (al hawiya al arabiya al islamiya), à la Umma al islamiya et, en écho à l'article 6 sur le rôle de l'Etat de servir LA religion (raiya li al-din) et de protéger le sacré, ouvre la voie à l'Etat théocratique et met en péril la citoyenneté, ses standards d'égalité et de liberté. Ces valeurs risquent par ailleurs d'être anéanties par des instances juridictionnelles qui, sous couvert de constitutionnalité, s'érigeront en gardiennes du nouvel ordre islamique légal.

- Nous mettons en garde contre ces dispositions dont l'implication peut aboutir, sur la base de l'article 117, à subordonner la loi positive ‐ expression de la volonté populaire ‐ ainsi que les conventions internationales à leur compatibilité aux interprétations des docteurs de la loi religieuse, les nouveaux censeurs.

- Nous attirons l'attention sur la fausse assurance de la «neutralité des lieux de culte» (art.6) et des «institutions d'enseignement» (art.15) dont l'Etat est garant seulement contre l'instrumentalisation partisane et non contre toute instrumentalisation politique et idéologique.

- Nous déplorons ces dispositions en porte-à-faux avec l'article 2 selon lequel la «Tunisie est un Etat civil fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la supériorité de la loi».

- Nous demandons par conséquent que soit ajouté à l'article premier objet de consensus‐ un paragraphe 2 selon lequel «il ne sera tiré de cette disposition aucune interprétation ou mesure de nature à introduire une distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe, la race, l'opinion ou la religion qui a pour effet ou pour but de compromettre ou d'anéantir la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les personnes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, des droits humains et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine».

Sur les libertés

- Nous déclarons que les libertés énoncées au projet constitutionnel demeurent en l'état, malgré les progrès constatés, peu protégées des restrictions et des limites que peuvent leur porter impunément des lois ou des règlements au nom de l'ordre public, de la santé, des droits d'autrui.

Il ne suffit pas d'assortir ces limites de la condition substantielle. Il est vrai, qu'elles ne doivent pas porter atteinte à l'essence même de la liberté (art. 48), mais de les conditionner par la «nécessité» et la «proportionnalité» de la mesure par rapport au but poursuivi dans un Etat de droit démocratique.

C'est pourquoi nous demandons que soit reprise la formule générale de l'article 48 et qu'à sa lumière soit retirée des dispositions relatives aux libertés, toute délégation à un régime législatif spécial comme c'est le cas aux articles 23 sur la vie privée, l'intégrité du domicile, le secret de la correspondance, des communications et des données personnelles, le choix du domicile et la liberté de circulation, 25 sur le droit d'asile politique, 30 sur la liberté d'expression, d'information et d'édition, 31 sur le droit d'accès à l'information, 34 sur la liberté de constituer un parti politique, 36 sur la liberté de réunion et de manifestation.

- Nous demandons que les droits et libertés soient autrement énoncés que par référence à la garantie de l'Etat. Les droits et libertés sont d'abord des attributs de la personne que la constitution doit reconnaître en tant que tels aux personnes à qui elles s'adressent.

- Nous proclamons en ce sens notre attachement à l'abolition de la peine de mort dont le maintien est contraire aux valeurs d'humanisme et du droit de toute personne à la vie, lequel ne peut être opposé à la volonté libre et consentante des femmes d'interrompre leur grossesse tant il est vrai que le foetus n'est pas encore une personne.

Sur les droits des femmes

Il est indéniable que, sous la pression du mouvement de protestation populaire du 13 août 2012, des progrès ont été réalisés dans la voie de la reconnaissance des droits des femmes et de l'égalité, notamment avec l'abandon de la «complémentarité» des rôles entre les époux au sein de la famille et le retrait des réserves à la convention contre toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes en octobre 2011 dont nous exigeons, par ailleurs et sans plus tarder, la notification au secrétaire général des Nations Unies.

En dépit de ces légers progrès, le texte demeure sur bien d'aspects en-deçà des aspirations des Tunisiennes et des Tunisiens à l'égalité, aux droits, aux libertés et à la non discrimination.

La disposition de l'article 20 reconnaissant «l'égalité de tous devant la loi» n'apporte rien de bien substantiel par comparaison au défunt article 6 de la constitution de 1959, si ce n'est l'effort de féminisation du langage et l'insistance sur la «non discrimination». En réalité, cet article omet volontairement ce que les Tunisiennes n'ont cessé de revendiquer et auquel les constituants sont restés sourds «l'égalité par la loi»! («al muussawat bil quanun»).

«L'égalité devant la loi» est du reste le minimum requis d'un Etat de droit et ne peut être l'exclusivité des citoyennes et des citoyens. A la différence de la formule restrictive adoptée et conformément aux principes généraux du droit, Tous et Toutes, sont égaux devant la loi sans distinction de sexe, d'origine, de race ou de religion. La loi est la même pour tous et toutes, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. «L'égalité en droit et en devoirs entre les citoyennes et les citoyens» est une formule trompeuse et incantatoire dépouillée de tout caractère juridiquement opérationnel tant l'égalité n'est pas une équation entre droits et devoirs mais une mesure qui reconnaît aux hommes et aux femmes, sur la base de l'égalité, les droits humains et les libertés consacrés dans la constitution.

C'est pourquoi en plus de cette formule générale sur l'égalité en droits et en devoirs nous demandons que soit déclinée l'égalité pour chaque droit reconnu et pour chaque liberté proclamée.

L'article 7 selon lequel : «La famille constitue la cellule de base de la société que l'Etat protège» n'est pas assez protecteur des acquis de la famille tunisienne moderne. Il est à remplacer par la reconnaissance à toutes et tous, sur la base de l'égalité, du droit à une vie familiale que l'Etat protège en prenant toutes les mesures nécessaires et adéquates sur l'âge minimum au mariage fixé à la majorité, l'acte civil de mariage et sa dissolution devant l'autorité judiciaire.

L'article 45, qui se veut le pilier des droits des femmes, est loin de satisfaire les revendications des Tunisiennes. S'il met à la charge de l'Etat de protéger les acquis des Tunisiennes, il passe sous silence les progrès qu'il lui incombe de réaliser, sur la base de l'égalité des hommes et des femmes, en matière de droits et de libertés dans tous les domaines de la vie publique et privée.

Son paragraphe 2 constitue une véritable régression. L'énoncé selon lequel: «L'Etat garantit l'égalité de chance et d'opportunités entre l'homme et la femme dans l'accès à diverses responsabilités» participe du flou général du texte sur les droits des femmes. Il est inférieur à la parité de candidature obtenue aux élections du 23 octobre 2013 et est loin de consacrer l'obligation de prendre des mesures positives spéciales et temporaires en vue d'accélérer l'instauration de l'égalité de fait entre les hommes et les femmes.

Quant à l'élimination de toutes les formes de violence faites aux femmes que l'article 45 laisse en son dernier paragraphe à l'appréciation de l'Etat, elle est tout simplement un mirage. Le mouvement autonome des femmes a longtemps demandé la promulgation d'une loi cadre de lutte contre les violences dite loi intégrale, couvrant tous les aspects du phénomène.