Nous t'appellerons désormais Amina «Che» Sboui. Parce que tu es l'héritière indiscutable de ce fier combattant de l'émancipation des Hommes.
Par Guy Calafato Pisani*
Amina, tiens bon, ne lâches pas, ne changes pas, tu es debout et tu n'es pas seule!
En fait, les mots sont assez difficiles à trouver pour te saluer.
Il fallait une femme dans ce pays pour relever la tête et tu es celle-là. Avec ton humilité, la force et la détermination de ta jeunesse. En fait, tu as pris les «armes». Les tiennes.
J'ai toujours eu l'intime conviction que ce serait les femmes qui feront bouger la Tunisie. Nous y sommes grâce à toi, au risque d'égratigner ta modestie.
C'est ce que les gens n'ont pas compris, y compris moi au départ. Et je t'avoue que j'étais très réservé sur les actions des Femen considérant que cela donnait plus d'arguments à ces religieux qui gesticulent pour plonger l'avenir de la Tunisie dans des perspectives d'un autre âge.
Tu t'es couchée sur les rails et il fallait avoir le courage de le faire en faisant front par là même aux traditions de ton pays.
Les petits cailloux que tu as semés ont déjà fait des petits. Un sacré bol d'oxygène et une sacrée claque aux «mauvaises odeurs». A un point tel que certaines formations politiques t'apportent aujourd'hui leurs soutiens. C'est donc bien la démonstration que la voie est ouverte, que tu as ouverte, afin que les droits des femmes progressent et que leur émancipation poursuive son chemin.
J'ai eu l'occasion de t'entendre sur France Culture et tu as porté un argument simple: la liberté des femmes de disposer d'elles mêmes, de leurs vies et d'être respectées. C'est pourtant simple à comprendre. Et pourtant tu peux constater combien c'est encore difficile même en 2013.
D'ailleurs, aujourd'hui, en France, une femme meurt tous les jours pour violences conjugales. Nous ne sommes pas en Tunisie, où les statistiques sont aussi alarmantes.
Voilà Amina.
Les grands discours ne servent à rien. Tu as bien compris que les «Hommes» ne sont pas jugés sur leurs discours mais bien sur leurs actes.
Saches qu'au-delà des murs de ta prison, les choses bougent. Ça se voit, ça se sent, c'est perceptible. Et même si les traditions ont la peau dure dans ton pays, ce qui en soi est respectable, ta détermination, ton militantisme et tes actions sont en train de tracer une vraie trainée d'humanité. Et contre ça, personne ne peut rien. C'est une force irrésistible que nul ne peut arrêter.
Pour ne pas conclure, je voulais t'adresser mon respect et ma reconnaissance.
Pourquoi ?
Parce ce que ce que tu as fait, ce que tu fais au quotidien dans cette prison infâme auprès de tes codétenues, l'écoute que tu as gagné auprès des gardiennes, démontre que lorsqu'on sème l'humanité, on gagne, on avance pour un autre monde.
Aujourd'hui Nelson Mandela a 95 ans. Tu fais partie de ces humains qui ne plient pas, qui ne se soumettent pas, qui n'acceptent pas l'inacceptable parce que la logique de la vie, c'est que l'Humain doit être libre, libre de vivre sa vie, libre de penser dans une société organisée et civilisée.
Alors j'ai pris une petite liberté, dorénavant nous t'appellerons: Amina «Che» Sboui. Parce que tu es l'héritière indiscutable de ce fier combattant de l'émancipation des Hommes.
Et comme disent les Tunisiens, parce que tu le mérites bien. Je t'embrasse.
Monastir, le 22 juillet 2013.
* Français installé en Tunisie, ancien syndicaliste.
Article du même auteur dans Kapitalis :
Lettre aux Tunisiennes et aux Tunisiens