Après l'assassinat du député de l'opposition Mohamed Brahmi, qu'on cesse de nous parler de «légitimité» électorale, fer de cheval des Frères musulmans, malgré un désaveu populaire généralisé.
Par Aymen Mahjoub*
«Pour toute société humaine, l'absence de légitimité est une forme d'apesanteur qui dérègle tous les comportements», écrivait Amin Maalouf.
Mohamed Brahmi, député à l'Assemblée constituante est mort ce 25 juillet, avec 14 balles dans le corps. Triste sort pour cet homme qui avait commencé sa carrière politique en tant que membre des Etudiants arabes progressistes et unionistes. Il y était actif jusqu'en 2005, date à laquelle il a créé le Mouvement unioniste nassériste, qui était interdit, travaillant dans la clandestinité. Après la révolution, il créa le Mouvement du peuple. Elu député sur la circonscription de Sidi Bouzid, dont il est originaire, cet époux et père de quatre filles et un garçon s'est fait assassiner à l'âge de 58 ans devant chez lui, en plein du mois saint du Ramadan et lors de la journée de la fête de la République.
Un leader assassiné, des symboles piétinés
Autant de symboles ont été touchés par ce crime horrible. Toutes les limites ont été franchies et outragées. Ce crime, troisième du genre dans la Tunisie post révolutionnaire, est de loin le plus abjecte, le plus horrible.
Tout d'abord, le martyr Brahmi est un député, élu du peuple, siégeant dans l'Assemblée nationale constituante (ANC). Elu à la circonscription de Sidi Bouzid, berceau de la révolution du jasmin qui a éclaté le 17 décembre 2010, ayant fait chuter le régime du déchu Ben Ali, et ayant fait des émules dans les autres pays arabes.
Assassiné en plein mois de ramadan est tout simplement bafouer la religion par des extrémistes justement religieux, accusés lors de la conférence de presse organisée vendredi par le ministère de l'Intérieur.
Cet assassinat a eu lieu sur fond de célébration de la fête de la République. C'est certainement le message le plus fort, le plus clair et qui ceci : «Votre démocratie, on n'en veut pas, on n'en veut plus, et ne sera jamais nôtre.»
Les révélations faites par le ministère de l'Intérieur sont pour le moins troublantes. Il s'agit de la même arme ayant été utilisée pour la liquidation d'une autre figure du Front populaire, le martyr Chokri Belaid, assassiné le 6 février dernier. A en croire cette information, il n'existerait en Tunisie qu'un seul tueur et une seule arme illégale qui circule!
Les soi-disant «révélations» du ministère de l'Intérieur
Hier, on a appris, par le porte-parole du ministère de l'Intérieur, que cette arme venait de Libye, aujourd'hui nous savons que c'est le même assassin. Sans doute, suite à l'annonce du MI qu'il allait faire des révélations sur l'assassinat du feu Belaid, ce dernier, le tueur salafiste jihadiste a décidé de passer à l'action en utilisant son arme?!? Et avant qu'il ne soit arrêté, si jamais on admet la version officielle, que faut-il faire? Qui est responsable de la violence? Qui est responsable de l'insécurité dans le pays? Qui est responsable de la garde des frontières et de toutes les armes qui entrent clandestinement dans le pays, sans parler de la contrebande des produits alimentaires, faisant exploser les prix sur le marcher local? Qui est responsable d'avoir laissé se propager le message de haine, de violence, dans les rues, dans les mosquées? Qui est responsable de ce qui se passe au mont Châmbi, dont ce El Hakim est l'un des acteurs identifiés par le ministère de l'Intérieur depuis mai dernier? Qui est responsable d'avoir vidé les prisons des criminels les plus dangereux? Qui est responsable de «nos enfants» salafistes qui «ne viennent pas de Mars» et qui rappellent pour certains leur jeunesse Ô si combien glorieuse (en sang, en haine?). Qui est responsable d'avoir reconduit ces mêmes personnes à de nouveaux postes, comme si par magie des compétences vont leur descendre du ciel pour les éclairer et pour qu'ils puissent mieux diriger le pays?
Un grave déficit de renseignements
On se rappellera tous des propos du désormais retraité, général Ammar, concernant les dysfonctionnement des renseignements généraux, dans un pays où les armes sont en circulation libre, où des camps d'entraînements se sont multipliés, vivier de jihadistes pour la Syrie.
Fort heureusement, et au prix du sang, le ministre de l'Intérieur vient d'annoncer la réactivation de la direction des renseignements, une décision qu'on ne peut que saluer, mais qui semble être bien tardive.
La situation actuelle en Tunisie sent la révolution à plein nez : plusieurs gouvernorats se sont proclamés en autogestion, et pendant ce temps, les responsables du pays se baladent d'un plateau de télévision à un autre pour défendre la sainte «légitimité». Une «légitimité» périmée, et plus que jamais contestée par tout un peuple, et cela ne risque pas de s'arrêter, puisque le sang appelle le sang, et puisqu'on parle ce soir déjà d'au moins un martyr dans la région de Gafsa, et plusieurs blessés sur l'ensemble du territoire.
Qu'on ne nous parle plus de cette «légitimité», fer de cheval de toutes les confréries des Frères musulmans, et ce malgré un désaveu populaire généralisé.
* Ingénieur chef de projets, membre de Nida Tounes France Nord.
Illustration: "La légitimité provient du peuple et revient au peuple", dit la pancarte brandie par le manifestant.