Quelques propositions pour calmer la colère des citoyens, sortir de l'impasse politique actuelle et donner davantage de chance d'aboutissement au processus démocratique en cours en Tunisie.
Par Fathi B'Chir*
Le scenario est écrit. Tous les partis sont d'accord pour qu'un gouvernement plus ou moins neutre prenne place à la Kasbah. Le parti majoritaire ne pourra vraisemblablement pas résister davantage. Pour emporter sa décision, qui serait imminente, après un dernier baroud d'honneur, il reste à donner le dernier coup de pouce pour que le changement puisse se produire.
Un gouvernement aseptisé et que faire de l'Assemblée nationale constituante (ANC)? La sagesse – et pour ne pas glisser trop dans l'inconnu – serait d'accepter son maintien avec un calendrier serré et avec des dates butoir impératives – le 24 octobre comme déjà indiqué, fin août pour la Constitution et fin septembre pour la loi électorale (dans laquelle il faudra ne pas oublier d'évoquer l'usage de «l'argent politique» avec la menace d'une disqualification de toute liste qui ne se prêterait pas à la transparence).
Pour l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), le plus pratique serait probablement de ne pas se priver de l'expérience de l'équipe passée. Lui joindre les nouveaux désignés et, pourquoi pas, nommer un autre président si besoin.
En même temps, effacer le tableau pour toutes les nominations dans l'administration et revenir au statu quo ante en attendant l'issue des élections. Il faudra même, en ce chapitre, interdire par la loi toutes les nominations politiques. Un remède serait la création dans chaque administration d'une commission tripartite (l'État, l'Assemblée et les représentants du personnel) qui donnerait son aval (simple droit de veto et non d'initiative) à toute nomination. Ce serait tout simplement l'exercice de la démocratie dans les structures de l'État comme il faudra y veiller au sein des entreprises.
La pratique des chefs d'administration et patrons de droit divin doit prendre fin même si ce sera difficile à faire accepter.
Il faudra affirmer avec force que nul ni rien n'est désormais hors du champ de la démocratie. Tout le monde sera redevable. «Traite-moi comme ton frère, demande-moi des comptes comme si j'étais ton ennemi» est déjà un principe reconnu par nos traditions.
Le changement de gouvernement créera un problème d'équilibre au sein de la Troïka même si la situation ne devait durer que quelques mois. Il faudra sans doute que l'ANC – maintenue – puisse revoter pour désigner un autre président. L'actuel étant tenu de remettre en jeu son mandat pour tenir compte de l'équilibre nouveau et vérifier s'il jouit encore de la confiance de la totalité des députés. Ce ne serait pas une injure personnelle faite à l'actuel président mais de la simple démocratie. Il ne serait pas normal que le parti majoritaire au sein de l'Assemblée soit exclu de tout poste de décision. C'est son droit dans la mesure où il n'en abuse pas.
Quoi qu'il en soit, la pression doit rester forte, non seulement pour obliger le Premier ministre et son parti à accepter la demande populaire mais aussi pour avertir la classe politique, y compris dans l'opposition, que toute tentative de marchandage politicien serait vaine.
On ne peut s'empêcher de ressentir comme une envie de négocier chez certains leaders de premier plan en vue, sans doute, des prochaines grandes échéances, la présidentielle notamment. L'ardente envie d'occuper un «fauteuil» est perceptible dans certains discours.
Bien plus que les éléments de conjoncture, le moment invite à aller au-delà de la protestation et à réfléchir – et agir concrètement et se placer déjà dans la perspective des élections.
La «rue» dit clairement ce dont les Tunisiens dans leur grande masse ne veulent pas. Il faudra probablement transformer la mobilisation actuelle en mouvement d'initiative populaire pour dire de quelle Tunisie le peuple veut. Des ateliers (aux vertus didactiques surtout) seraient utilement formés pour détailler les divers éléments d'une politique nouvelle et novatrice et que les citoyens seraient amenés à comprendre, appliquer et défendre en connaissance de cause.
* Journaliste tunisien basé à Bruxelles.