L'autocongratulation et la fixation exclusive sur «l'ennemi» montrent leurs limites et expliquent les blocages actuels en Tunisie où deux blocs refusent de s'accepter mutuellement.
Par Jamila Ben Mustapha*
Nous allons, dans ces lignes, aller à contre-courant de certains aspects de l'attitude observée, actuellement, chez les modernistes, vis-à-vis des islamistes, tels qu'exprimés de façon sommaire et qu'ils se dégagent de certains slogans et mots d'ordre entendus, récemment, au cours du sit-in du Bardo.
La haine de l'adversaire assimilé à un ennemi...
Il existe, tout d'abord, entre les deux camps, trop d'agressivité, trop d'esprit d'exclusion qui ne présagent rien de bon pour notre avenir commun et montrent à quel point l'un comme l'autre – certes, de manière inégale – sont éloignés de la démocratie, terme qui finit par devenir un mot creux et une revendication, purement, formelle.
Nous croyons, fermement, qu'il n'y a rien de pire que la haine comme sentiment destructeur, d'abord, pour celui qui l'éprouve. Entre mettre fin au gouvernement actuel parce qu'il est inefficace, et «déraciner les islamistes de notre terre», comme nous l'avons, souvent, entendu, au Bardo, il y a quand même un fossé immense.
Ennahdha n'est pas un parti prêt au dialogue, mais certains de ses adversaires ne le sont pas, non plus, tant que cela.
Et la nécessaire coexistence pacifique
Observons comme Béji Caïd Essebsi, qui n'a pas fait sa carrière sous un régime démocratique, sait, pourtant, en homme expérimenté, que rien ne peut se faire, en politique, sans le dialogue. Il répète, inlassablement, qu'Ennahdha fait partie, sans conteste, du paysage politique, en Tunisie, que lui et sa formation sont prêts à l'échange, à la communication, mais que cette volonté est absente, de l'autre côté.
L'autocongratulation, la fixation exclusive sur «l'ennemi» – comme le montrent, inlassablement, des slogans visant Rached Ghanouchi, et d'autres, aussi sommaires qu'«Ennahdha dégage!» – montrent, très vite, leurs limites et expliquent les blocages actuels.
La solution, facile à dire et beaucoup plus compliquée à mettre en pratique, est, bien évidemment, l'admission de la nécessaire coexistence pacifique entre modernistes et islamistes. Et, dans chacun de ces deux camps dévorés par la haine, il va falloir beaucoup de temps pour que l'un accepte l'autre comme une nécessité pénible mais inévitable.
Terminons cet article, tout de même, par une note optimiste. Voici un petit texte publié sur Facebook par ''Les News de la journée'', à propos de ce qui s'est passé dans la foule des badauds, lors de l'arrestation des terroristes d'El Ouardia, ce 4 août: «Curiosité du Tunisien face au terrorisme (affaire El Ouardia). Et au milieu de toute cette anarchie, j'ai pu voir de mes yeux une scène insolite, une jeune femme en short demande à l'un des mes voisins salafiste (la trentaine) de se pousser un peu pour qu'elle puisse voir, l'homme décide de la porter sur ses épaules pour qu'elle puisse tout voir. La spontanéité de leurs gestes respectifs m'a laissé sans voix.»
N'est-ce pas une jolie histoire qui autorise, malgré tout, l'espoir?
* Universitaire.
Illustration: les chefs de file des islamistes et des modernistes: Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi.