Ennahdha, le parti islamiste tunisien, est profondément réactionnaire et recourt aux vieilles pratiques des partis hégémoniques. A ce titre, il ne peut en l'état réaliser les objectifs de la révolution.
Par Karim Ben Slimane*
Les Tunisiens ont eu tort de confier leur révolution à un parti réactionnaire qui aussitôt intronisé a adopté les vieilles pratiques de ses anciens tortionnaires.
Ennahdha n'est pas et ne pourra pas être, à moins d'un remède de cheval, un parti à qui on peut confier notre révolution. En dépit des signes d'ouverture qu'il renvoie par intermittence, le parti islamiste tunisien reste profondément réac. Un propos osé et un tantinet excessif nous mènerait à dire qu'Ennahdha n'est finalement que du vieux vin de dictature à la Ben Ali dans une nouvelle bouteille estampillée Islam.
Le syndrome de l'Etat-parti
Trois éléments composent la thèse que je défends ici quant au caractère réactionnaire et profondément antirévolutionnaire d'Ennahdha : 1- le maintien de l'Etat policier; 2-l'inféodation de l'administration par les nominations partisanes; et 3- l'instauration d'une discipline de parti qui fait de ses membres de simples soldats godillots.
Le régime de Bourguiba a instauré, dès l'indépendance, un Etat policier qu'il a mis au service de sa politique et de la satisfaction de l'égo et des lubies de celui qui se faisait appeler le «combattant suprême».
Ben Ali, qui a été le pur produit de l'Etat policier bourguibiste, lui a assuré une continuité sans failles. Un Etat policier est un Etat dans lequel le corps de la sécurité intérieure règne sur la politique et sur la société sans rendre de comptes à quiconque sauf au gouvernement et au parti unique qui le nomme, le nourrit et le protège. La protection du citoyen devient un alibi pour épier les opposants au régime et pour mâter les velléités de rébellion. Les postes de police sont alors des zones de non droit où sévissent l'arbitraire et les faits barbares. Rien d'étonnant que juste après la révolution la méfiance et la défiance des citoyens envers la police aient connu leur paroxysme.
L'assainissement du ministère de l'Intérieur et la fin de l'Etat policier constituent un objectif clef de la révolution. Mais qu'en a fait Ennahdha? Rien. Profitant du passage de Ali Larayedh au ministère de l'Intérieur, Ennahdha n'a pas du tout œuvré dans le sens de l'assainissement de l'Etat policier. Au contraire, il a placé ses pions dans l'appareil sécuritaire. Le site d'investigation ''Nawaat'' donne à ce titre des éléments précis et étayés sur des nominations et des promotions allant dans le sens d'une prise en main du corps de la sécurité intérieure par le gouvernement et le parti islamistes.
Le Nahdaoui obéit avant tout à des ordres
Deuxième élément d'analyse dans cette tribune, les tentatives d'inféodation de l'administration par les islamistes comme preuve de pratiques rétrogrades et contraires aux objectifs de la révolution. Les islamistes d'Ennahdha sont partout et pas seulement au gouvernement et à l'Assemblée nationale constituante (ANC). Les vannes des recrutements de la fonction publique ont été grandes ouvertes aux membres du parti islamiste et selon des logiques de népotisme.
Tout cela bien évidement est payé par les deniers publics et l'argent des Tunisiens.
Plus graves encore sont les nominations partisanes à la tête des gouvernorats et des délégations et même dans le corps des «omaâd». Ennhadha tisse ainsi sa toile sur tout le territoire, fait des obligés et maintien les logiques d'allégeance au pouvoir.
Enfin, regardons les pratiques du parti Ennahdha envers ses membres ou plutôt ses fidèles soldats. Il y a un aspect assez frappant mais aussi impressionnant dans les événements organisés par le parti islamiste, une organisation bien rodée et une hiérarchie de rôles et de rangs bien huilée.
Pour en avoir le cœur net, j'ai marché il y a quelques jours dans une manifestation de soutien au gouvernement organisée à Sousse et je peux donc en parler en témoin avisé.
Le manifestant Nahdaoui obéit avant tout à des ordres. Il est un soldat. Si les manifestations hostiles au pouvoir qui ont suivi l'assassinat de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi ont été largement spontanées, il n'en est rien des manifestations de soutien au gouvernement.
La rue pour les Nahdaouis n'est pas un terrain de libre expression de la démocratie populaire mais plutôt une arène de démonstration de force. Mais il serait injuste de reprocher au parti Ennahdha son sens de l'organisation et son efficacité.
En revanche, d'autres aspects demeurent inacceptables et nous rappellent étrangement les pratiques du RCD, l'ancien parti au pouvoir. Les ressources de l'Etat, moyens de transports et autres équipements sont régulièrement réquisitionnées par le parti islamiste pour l'organisation de ses événements. Des témoins rapportent aussi la distribution de nourriture et même d'argent pour les manifestants.
Pour ces trois raisons, il est juste de conclure que le parti Ennahdha est profondément réactionnaire et à ce titre il ne peut en l'état réaliser et veiller sur les objectifs de la révolution. Ce que nous avons n'est autre que du vieux vin de dictature dans une nouvelle bouteille estampillée Islam.
* Spectateur rigolard de la vie politique tunisienne.