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Non, ce n'est plus Ennahdha que l'on craint, mais les prémices d'une guerre qui, opposant les différentes factions islamistes entre elles, peut transformer la Tunisie, dont on a longtemps chanté la quiétude, en un champ de ruines.

Par Rabâa Ben Achour-Abdelkéfi*

La nuit du 3 août 2013. Sur Tunis encore en deuil, pleuvent des arabesques de lumière multicolores. Que fête-t-on à la Kasbah?

On fête, dans la pure tradition tunisienne des grands meetings mussoliniens du RCD, la mort du pays et la pérennité du gouvernement. Ils étaient des milliers de partisans, disciplinés et appliqués, chacun à son poste, veillant au strict respect des ordres. Nul ne peut contester leur efficacité.

Une démonstration de force

Cette fête n'en était pas une pourtant: il y manquait la foi. Ni les discours enflammés des Nahdhaouis et de leurs sympathisants, ni les slogans mobilisateurs, ni les you-you et les hourrah n'ont été convaincants

Le feu d'artifice a laissé une odeur de soufre. Le poids de l'angoisse plombe, aujourd'hui, les cœurs.

Mais quelle est la signification d'un meeting de cette envergure?

Ennahdha n'a pas lésiné sur les moyens matériels et logistiques: location de voitures, de bus, du parking de la mairie, d'écrans géants, de sono, de chaises, restauration des militants, feu d'artifice, couverture médiatique et service informatique; il y avait tout cela et tout cela coûte de l'argent.

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Le mélange des genres (religion et politique) est le plus court chemin vers le dévoiement de la démocratie.

Les Nahdhaouis savent bien qu'un tel gaspillage n'est pas pour plaire aux Tunisiens. Mais ce qu'ils n'ignorent pas non plus, c'est qu'en cette période de crise économique et d'instabilité sécuritaire, les partisans de l'ordre, dont les «nostalgiques des années Ben Ali», et ils sont nombreux, ne rêvent que de retrouver un pays organisé. Peu leur importe qui gouvernera dans un avenir proche ou lointain, l'essentiel pour eux est de retrouver un pays pacifié qui ne mettra pas en danger leurs privilèges. Pour cela, ils s'allieront, sans jeu de mots, avec le diable.

Les Nahdhaouis ont bien compris cela. Astucieux, capables de revirements spectaculaires, ils ont modifié leur discours et se présentent désormais comme les ennemis du terrorisme qu'ils ont pourtant largement contribué à implanter. Certes, la supercherie est claire. Personne de toute évidence ne s'y laissera prendre. Mais, chacun connaît ses intérêts, l'opportunisme politique est de bonne guerre.

Le meeting d'Ennahdha était aussi une démonstration de force délibérément provocatrice et, s'il visait à amadouer les partisans de l'ordre, il se proposait également de terroriser ceux qui osent remettre en question le pouvoir de la Troïka et la légitimité de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Le message était clair. Il disait en substance: «Nous avons de l'argent, nous avons à notre disposition l'administration, nous avons des troupes, nous sommes organisés, nous sommes bien les seuls à l'être, nous avons la légitimité et nous vaincrons».

C'est en feignant de renoncer à leurs valeurs les plus chères – l'application de la charia en l'occurrence –, que les Nahdhaouis ont acquis la base électorale qui leur a donné 41% des sièges au sein de l'ANC. Le jeu démocratique, en effet, ils ont fait mine de le jouer. Mais ce n'était qu'un jeu qui leur permettait d'arriver au pouvoir.

Au lendemain du scrutin du 23 octobre 2011, emporté par l'exaltation que donne le succès et oublieux, dès lors, de ses promesses électoralistes, Hamadi Jébali a tenu un discours annonciateur de la nouvelle politique islamiste qui allait faire son chemin dans la Tunisie post-révolutionnaire, en dépit des concessions consenties sous l'effet de la pression populaire.

Aujourd'hui, Ennahdha est un parti protéiforme qui, du fait même de sa mobilité, peut-être perçu comme un parti opportuniste. Sa faculté à louvoyer, à renoncer aux valeurs mêmes qui le fondent l'affaiblit chaque jour davantage. Car s'il n'arrive pas à gagner la confiance des démocrates, des pauvres et des laissés-pour-compte, des jeunes et des femmes, il a perdu non seulement le soutien de certains groupes de salafistes radicaux mais de ceux qu'il s'est appliqué à fanatiser.

La fascination du pouvoir

Le pouvoir use mais il exerce sur ceux qui le pratiquent une fascination telle qu'ils ne peuvent plus s'en défaire. Ennahdha n'a plus seulement une idéologie à défendre, elle a aussi et surtout un pouvoir à conserver. Pour cela, elle est prête à sacrifier momentanément «ses enfants» et la mission dont Dieu lui-même l'a, si on l'en croit, investi et à combattre tous ceux contestent «sa légitimité».

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Ennahdha saura-t-elle contrôler longtemps les mouvements, notamment jihadistes, qui gravitent autour de lui? 

Une question se pose toutefois: Ennahdha a-t-il aujourd'hui les moyens de frapper l'ensemble de ses détracteurs? Peut-il affronter les innombrables forces de pression que constituent les partis de l'opposition, l'UGTT, l'UTICA, la LTDH, les associations de défense des libertés, mais aussi des jihadistes, à un moment où ses partisans et ses alliés expriment leur mécontentement?

En effet, le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar, lui a manifesté son désaccord quant à la gestion de la crise politique engendrée par l'assassinat de Mohamed Brahmi, sa direction semble se fissurer et ses milices, les Ligues de protection de la révolution (LPR), comme bon nombre de ses partisans, lui reprochant de renoncer à ses principes fondateurs, l'accusent de les trahir.

Ennahdha se discrédite auprès des Tunisiens. Les procès iniques et, plus encore, les assassinats politiques dont les commanditaires demeurent impunis et

les actes terroristes qui sévissent au Jebel Chaambi, tout comme le mauvais souvenir de la répression des manifestations du 9 avril 2012 à Tunis et des 27 et 28 novembre 2012 à Siliana – pour ne citer que ces deux mouvements de protestation – ont accru non seulement le nombre d'opposants au gouvernement de la Troïka et au parti Ennahdha mais aussi celui des décillés et de déçus.

Les menaces proférées par le chef du gouvernement, Ali Larayedh et les arguments qui les sous-tendent, tels que les complots organisés par «les ennemis de la démocratie» et de «la réussite tunisienne», font aujourd'hui sourire le citoyen le plus naïf. Le sit-in du Bardo et en particulier l'imposante manifestation du 6 août l'ont prouvé: Ennahdha a perdu de sa crédibilité.

Non, ce n'est plus Ennahdha que l'on craint, tant est grand son pouvoir d'acclimatation. Ce qui inquiète les Tunisiens, ce sont les prémices d'une guerre qui, opposant les différentes factions islamistes entre elles, peut transformer la Tunisie, dont on a chanté la quiétude, en un champ de ruines.

* Universitaire

Note:
1- Si le parti a loué les bus publics ou le parking municipal, ce n'était pas par nécessité. Il voulait montrer qu'il détient l'administration et les rouages de l'Etat.