A propos des fourgons transporteurs des détenus en Tunisie, ces «bagas» où les prisonniers sont à plus d'une vingtaine assis, menottés dans le dos ou les uns aux autres, sans possibilité de bouger...
Par Dr Lilia Bouguira.
La télé nous montre en boucle des hommes amoindris, des putschistes, tous arrogants, sûrs d’eux et capables de toutes les immondices. J’ai zappé les infos qui nous montraient les corps calcinés des détenus du convoi de Abou Zaabal en Egypte. Une seule image est restée incrustée dans ma tête: celle des corps carbonisés, menottés, ligotés aux pieds. Si l’horreur a un nom, c’est bien ce que nous faisons laisser faire au nom de la justice, de la liberté et des révolutions dont je commence sérieusement à douter. Cette image revient souvent la nuit me hanter et me ramène aux droits de l’homme et à sa gente à laquelle j’aime appartenir et qui continue mollement, très mollement, à bouger et faire bouger les choses. Je pense à nos fourgons transporteurs des détenus en Tunisie et nos «bagas» pour les grands convois où les prisonniers sont à plus d’une vingtaine voire plus assis, menottés dans le dos ou les uns aux autres, sans possibilité de bouger, ignorant tout des morts subites lors des longs trajets immobilisés. Je pense à ces fourgons doublés de taule isolante trouée en ridicules petits points pour permettre aux voyageurs d’infortune de respirer par à coup pendant que l’air devient irrespirable de déjections et de vomi dans l’unique seau commun par des chaleurs insoutenables de nos mois d’été. Je pense à ces convois par nos routes crevassées et nos installations peu sûres et reprends les paroles assez justifiées d’un de nos chefs militaires récemment désengagé que le pays est voué à un saint sinon comment expliquer le chiffre peu élevé des accidents et des morts lors de ces convois déshumanisés. Pendant ces convois, seuls des hommes ont droit de vie et de mort sur d’autres hommes. Pendant ces convois, seuls des hommes font et passent à exécution comme par cet après-midi où deux des convoyés étaient deux jeunes filles arrêtées dans les campus estudiantins pendant l’ère de Zaba et furent violées à tour de rôle dans l’arrière des camions pendant une ignoble pause déjeuner pour des surveillants de paix surexcités. L’une d’elle fut engrossée et dut se faire avorter par un médecin éprouvé toujours dans nos prisons fermées. Rien ne peut se faire consigner en ces périodes de dictature et aux consciences harnachées. Rien ne peut attester de ces terribles tragédies à part des vies détruites à jamais, des témoignages fusant de temps à autre des plus tremblants et une haine séculaire qui fait ravage de part et d’autres sur les réseaux sociaux et dans nos pays en pleine transition. Notre démocratie continuera à ressembler à une gamine hargneuse qui refuse de marcher tant qu’une volonté de changement et d’aide aux victimes est inexistante. Sinon comment expliquer que de tels convois continuent à transporter les prisonniers? Où sont les responsables? Où sont les Ong, les ministres et les experts de la santé? Devons nous à chaque fois nous contenter de tuer le mort puis de lâchement le pleurer? Je ne défends aucun clan et ne cautionne aucune initiative mais reste témoin des démesures et des inactions tuméfiantes qui empêchent notre révolution d’émerger. Les convois de la mort continuent dans nos pays à exister. Celui d’Abou Zaebal est fin prêt à témoigner. |