Les démocrates tunisiens se demandent si ce qui s'est passé récemment en Egypte constitue une menace contre la démocratie, ou contre l'un de ses ersatz, les élections, condition nécessaire mais non suffisante.
Par Faïk Henablia*
Les événements d'Egypte n'ont pas manqué d'interpeller fortement les démocrates, tant en Occident que chez nous, en Tunisie.
L'embarras des démocrates
L'embarras est manifeste au motif que si le coup d'Etat militaire a bénéficié d'un soutien populaire large et incontestable, avait-on, pour autant, le droit de défaire par la pression de la rue, même majoritaire, le résultat d'une élection libre et démocratique? Accepter cela ne laissait-il pas, en outre, la porte ouverte à toute dérive autoritariste du moment qu'elle est soutenue par la population?
Pour nous-autres Tunisiens se pose en filigrane la question de savoir si notre pays est à l'abri d'un tel scénario et si son éventualité serait forcément une atteinte à la démocratie.
L'embarras général des démocrates à propos de l'Egypte est, à mon avis, infondé car ce n'est pas tant la démocratie que son ersatz qui a subi les assauts de l'armée.
Une erreur fondamentale d'analyse est, en effet, commise, qui consiste à considérer que la démocratie se résume aux seules élections libres.
Or si cette condition est nécessaire, elle est loin d'être suffisante.
Deux autres conditions non moins primordiales doivent être, en outre, réunies pour assurer le caractère démocratique d'un régime.
Des pouvoirs clairement définis par les textes.
Les pouvoirs des institutions ou des personnes élues doivent être, au préalable, clairement définis, règlementés et encadrés par les textes. Des contre-pouvoirs doivent, en outre, servir de garde-fous pour empêcher toute dérive despotique. L'absence de cette condition était, de toute évidence, criante en Egypte, où l'on a fait passer la charrue avant les bœufs, en procédant à l'élection d'un président, aux pouvoirs cependant incertains car non précisés et encadrés au préalable.
La tentation a été par conséquent trop forte, et apparemment irrésistible, pour, une fois élu, s'engouffrer dans cette brèche et choisir la solution du passage en force, considérant que ce qui n'est pas expressément interdit, et pour cause, est forcément permis.
La dérive despotique est incontestable, ce qui pose d'ailleurs une autre question non moins importante, celle de savoir comment la démocratie doit traiter ceux qui s'en servent pour mieux la fossoyer.
Mustapha Ben Jaâfar et l'Assemblée nationale constituante ou la tentation d'une dérive à l'égyptienne.
Qu'en est-il dans notre pays et sommes-nous sûrs que notre chère Assemblée nationale constituante (ANC) a su résister à la tentation d'une dérive à l'égyptienne? Est-elle dans son rôle lorsqu'elle se comporte, non pas en constituante, mais en parlement se mêlant de questions qui ne sont a priori pas de son ressort et ne profite-t-elle pas non plus du silence ou de l'imprécision des textes pour s'engouffrer dans une brèche aux contours incertains? La question est posée.
Limitation de la durée des mandats électifs.
L'autre condition non moins primordiale de la démocratie est la limitation du mandat électif dans le temps. Cette condition était bel et bien réalisée en Egypte puisque le mandat était de 6 ans. Nous ne saurons jamais si elle aurait été respectée ou non en fin de compte.
Mais que dire de chez nous? Le décret d'août 2011, instituant l'ANC, en limitait bel et bien le mandat à un an à compter des élections. Légalement parlant, son mandat aurait donc dû s'achever en octobre 2012. Force est de constater, que près de 2 ans après son élection, cette assemblée est non seulement présente mais ne donne en plus aucun signe de s'en soucier. Non seulement elle refuse de fournir la moindre date de départ, mais se mêle de tout sauf de rédiger une constitution. Nous en sommes réduits à attendre le bon vouloir de la coalition majoritaire en son sein qui peut très bien décider la dissolution demain, tout comme dans 5 ou 10 ans.
La violation du décret de 2011 est manifeste. Or qu'est-ce que la démocratie sinon le règne de la loi et des textes? Et d'ailleurs, qui en seraient les violeurs, ceux qui appellent à la dissolution de l'ANC ou ceux qui veulent à tout prix son maintien et qui prétendent à un pouvoir discrétionnaire quant au choix de la date d'échéance?
Nous sommes bel et bien dans un cas où seule une condition de la démocratie est réalisée, en l'occurrence les élections, condition nécessaire mais non suffisante puisque l'autre condition, non moins importante, celle de la durée du mandat, est allègrement violée.
Un coup de force éventuel serait-il par conséquent une atteinte à la démocratie? Rien n'est moins sûr.
L'erreur fondamentale d'analyse des démocrates, à juste titre interpellés par les événements d'Egypte, est sans doute due à la brutalité du coup d'Etat ainsi qu'au nombre de victimes.
Elle s'explique également par le peu d'espoir de voir les militaires abandonner le pouvoir dans un proche avenir. Mais ce n'est qu'une mauvaise copie de la démocratie qui a été mise à mal.
Un ersatz qui peut très bien être corrigé chez nous par les moyens plus pacifiques de la bonne foi et du dialogue.
*Gérant de portefeuille associé.