Lecture entre les lignes des discours de Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, et des déclarations, faites ça et là, par ses lieutenants, comme par les dirigeants du Congrès pour la République (CPR).
Par Basma Krichene*
Invité sur Nessma TV, dimanche 25 août, Rached Ghannouchi a été interviewé par Hamza Belloumi. Loin de rassurer, les paroles du cheikh nous laissent perplexes et augurent d'une longue période de troubles et d'incertitudes.
L'invention du terme de «gouvernement d'élections», qui ne peut être formé qu'après l'achèvement de la rédaction de la constitution, la mise en place de l'Instance supérieure indépendante des élections et la finalisation de la loi électorale montre les capacités de manoeuvres machiavéliques de nos frères musulmans.
En réalité, le Cheikh demande un sauf conduit pour ses poulains, assorti de garanties réelles tels que le maintien de l'actuel gouvernement qui ne cédera la place au prochain gouvernement que quelques semaines avant la tenue des élections. Gouvernement restreint qui aura pour prérogative exclusive la préparation et l'organisation des élections.
Un bouc émissaire nommé CPR
Ennahdha se cabre et cherche un compromis. Du coup on passe l'éponge sur la loi de l'immunisation de la révolution, on glorifie Béji Caïd Essebsi et Nida Tounes et on sacrifie au passage son allié irréductible le Congrès pour la république (CPR), tout en espérant que Nida
Tounes fasse autant avec le Front populaire diabolisé par Abdellatif Mekki, ministre de la Santé mais «à temps partiel», qui assimile l'idéologie anticapitaliste du Front à du salafisme communiste.
Incroyable mais vrai : Imed Daimi continue de se partager les rôles avec son unique allié puisqu'il vient, sur Express FM, d'accepter que son parti soit un bouc-émissaire.
En effet, loin de s'indigner ou de protester, il continue de croire tout comme ses alliés que l'actuel gouvernement a un rôle a joué et que la Troika existe encore, feignant d'oublier que le CPR, qui vient de jouer à fond son rôle de parti satellite, a terminé la mission qui lui était attribuée par Ennahdha. Ses «leaders» tels que Sihem Badi, Slim Ben Hmidene, Abdelwaheb Maatar et Imed Daimi vont bientôt le quitter pour rejoindre ouvertement le parti Ennahdha, qu'ils n'ont peut-être jamais du quitter.
Bref, le discours de Rached Gannouchi, loin d'être incohérent ou apaisant, comporte une menace voilée pour beaucoup Tunisiens. Il exige un compromis favorable aux siens et l'obtention de l'immunisation pour les ministres islamistes – y compris sans doute ceux du CPR – dont certains ont déjà des affaires en justice (Rafik Abdessalem, Ali Larayedh, Sihem Badi...) ou ça sera le chaos.
Diviser ou faire saigner
Bien entendu, il faudra faire l'impasse sur les enquêtes relatives aux assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi et aux terroristes du mont Chaambi, dont les accointances avec la nébuleuse islamiste doit normalement être explicitées par la justice.
La rentrée scolaire est proche et l'économie s'étrangle, alors passons l'éponge et restons copains sinon on y perdra tous !
Drôle de message, mais c'est le monde selon Gannouchi, et ce qui va se passer durant les semaines reflétera les rapports de force, la clairvoyance et l'endurance des différents acteurs.
Une chose est sûre, cependant, M. Ghannouchi a encore plus d'un tour dans son sac et il nous réservera pas mal de surprises surtout que pour régner il compte diviser ou faire saigner.
* Educatrice.
Illustration: capture d'écran.