Les Tunisiens n'ont pas d'armée apte à gouverner. Mais, ils sont un peuple éduqué dans les écoles de Bourguiba. Et ce peuple n'acceptera, à aucun prix, que l'on change son art de vivre. Quant au paradis, il n'en veut pas : il y est déjà.
Par Jomâa Assâad*
Mea culpa à l'adresse de mes lecteurs, quel que soit leur nombre. Ils ont eu la courtoisie de ne pas me traiter de grincheux. Opposant farouche à la Weltshaung (Vision du Monde, pour les non-germanistes) des Nahdhaouis, non moins réfractaire à la ligne «politiquement correcte» distillée par le «Citoyen notoire» (voir "Tunisie-Politique : Béji Caïd Essebsi le Sauveur") et, à ses heures, président du parti Nida Tounes, je faisais ostensiblement montre d'éternel insatisfait, je vous l'accorde.
Cette manière de voir n'est, cependant, pas imputable à un trait de caractère. Elle trouve sa justification dans la configuration de la réalité politique postrévolutionnaire tunisienne.
Au lendemain du 14 janvier 2011, certains mécanismes, relevant pour la majeure partie de la psychologie sociale, se sont déclenchés. Une volonté exacerbée de rupture avec le discours, voire même les valeurs anté-révolutionnaires s'est mise en place. Un sentiment de culpabilité collective, nourri, il est vrai, par une victimisation outrancière, s'est insidieusement propagé, tel une maladie honteuse. Un amalgame conceptuel, confondant action politique et messianisme, éthique politique et piété a pris pour cible une majorité, jeunes et moins jeunes, illettrée. Des subsides, provenant d'on-ne-sait où, pour parfaire la lubrification de cette «machine infernale». Et un pouvoir politique qui regardait ailleurs (l'Histoire étant un éternel recommencement) pour couronner le tout.
Les jeux étaient désormais faits. Les «proscrits» d'hier sont, aujourd'hui, les «notables» du pays.
Au fil des mois... des semaines... des jours, les Tunisiens découvrirent le visage hideux de ce nouveau pouvoir. Il ne se passait pas un seul jour sans qu'un scandale n'éclate, relayé ou pas par les média, peu importe. Les «affaires» les plus inimaginables se succédaient à une cadence hallucinante. Une incompréhension grandissante s'est installée entre gouvernants et gouvernés. Une crise de confiance y suppléa. Un rejet de la «Nébuleuse» boucla le processus.
Non, Monsieur Caïd Essebsi, vous ne pouvez plus vous porter garant de ces «Tunisiens» qui nous viennent d'ailleurs (de corps... et surtout d'esprit). Non, Monsieur le Citoyen Notoire, la Tunisie ne saurait continuer à marcher sur la corde raide, à applaudir vos tribulations de funambule.
Nous n'avons pas d'armée apte à gouverner, c'est un fait. Mais, nous avons un peuple éduqué dans les écoles de Bourguiba. Et, voyez-vous, ce peuple, femmes et hommes confondus, n'acceptera, à aucun prix, que vous changiez son art de vivre. Même si vous avanciez à visage couvert par un néo-bourguibisme de façade!
Le moment venu, et n'en doutez pas, ce moment viendra, le peuple tunisien écrira souverainement, sans nulle nostalgie pour l'Etat-Providence, sa constitution... En lettres d'or ou bien de sang, l'Histoire en décidera.
Article 1: La République Tunisienne n'est que par les citoyens qui la constituent.
Article 2: La citoyenneté est, à l'exclusion de tout autre droit, un droit de sol.
Article 3: Aucun parti politique fondé sur la religion, la langue, le sexe, l'ethnie, la race, la couleur ou tout autre forme de ségrégation primaire n'aura droit de cité.
Foin d'amalgames! Tout compromis concernant nos fondamentaux ne saurait se traduire, à terme, qu'en compromission. Que l'on se souvienne de cet adage arabe: «Les mains tremblantes ne bâtissent pas de Grandes Nations».
Pour humbles citoyens que nous sommes, gens de petite condition, nous n'en sommes pas moins grands par l'élévation de notre rêve tunisien.
Désolés, messieurs, nous ne saurions avoir les mêmes valeurs. Au Paradis, nous y sommes déjà.
* Universitaire.