palais carthage 9 30

L’histoire de Marzouk et Shoshana: un empereur rosse et acariâtre, qui aime s’entourer d’ulémas, et une courtisane lubrique et insatisfaite. Toute ressemblance avec des personnages réels est bien sûr un pur hasard...

Par Karim Ben Slimane*

 

Depuis la fuite de l’ancien empereur Zaba chassé par une révolution des va-nu pieds, le visage du palais de Carthage n’est plus le même. On dirait que le palais avait perdu de sa majesté et de sa fierté. Les nouveaux maitres des lieux sont moins enclins au stupre. L’atmosphère est désormais pesante et lugubre. Plus rien ne luit dans le palais, plus rien ne scintille.

Du temps de Zaba le palais ne désemplissait jamais, on festoyait jusqu’à la levée du jour, on buvait jusqu’à en perdre la raison et on s’adonnait sans satiété aux plaisirs de la chair. Aujourd’hui le palais ressemble étrangement à une latrine abandonnée qui garde malgré tout sur ses murs et dans l’air qui y circule les traces ineffables d’une vie dissolue et licencieuse.

Mais il y a des choses qu’on ne pourra jamais enlever au palais de Carthage sans doute son cœur battant, une femme qui règne sur les lieux. Zaba a précipité dans sa chute la déchéance de l’ancienne régente de Carthage la belle et sulfureuse Léa. Elle s’est faufilée un soir dans le lit de Zaba pour ne plus jamais en ressortir.

Mais le nouvel empereur n’est pas un homme à femmes. Rompu à la lecture et à la science il en est devenu rosse, et acariâtre presque hautain et suffisant.

A Carthage c’est donc un lettré qui a succédé à un voyou. Le nouvel empereur s’est entouré d’un nouveau sérail comprenant hommes de sciences mais surtout des religieux et des ulémas. Carthage a de nouveaux visiteurs mais aussi une nouvelle régente, Shoshana surnommée la vierge de Carthage. Elle a connu Marzouk le nouvel Empereur durant son exil en Papouasie. Elle l’a connu miséreux et haineux et le voilà riche et revanchard. Shoshana n’était ni belle ni laide, une de ces femmes ordinaires qui vous laissent indifférents. Mais elle était terriblement déterminée.

Durant les années d’exil elle a travaillé comme aide apothicaire et s’est forgé une bonne connaissance des vertus médicinales des plantes et de l’anatomie humaine. Marzouk médecin dans ses temps perdus aimait parler avec Shoshana de ses découvertes et aimait digresser doctement sur les vertus des plantes qu’utilisaient ses ancêtres de la tribu des Mrazig. Elle s’asseyait à même le sol, la tête reposée sur la cuisse de Marzouk, lui vautré dans son fauteuil. A vrai dire elle feignait de l’écouter et pensait à autres choses, la jolie robe hors de prix qu’elle a vu dans la vitrine d’un grand couturier ou les chaussures à la semelle d’un rouge vermeil flamboyant qu’elle rêve tant d’avoir dans ses pieds.

Shoshana a un faible qu’elle ne peut pas contenir pour les chaussures peut-être parce qu’elle a tellement marché nu-pied dans sa vie antérieure. Quand la fatigue le prend, Marzouk se lève de son fauteuil, plonge délicatement la main dans les cheveux de Shoshana avant de la serrer contre lui sa joue écrasée sur son pénis. C’était le seul jeu érotique auquel se livrait Marzouk. Son goût immodéré pour la lecture et pour la science lui sert à camoufler sa libido déclinante. Il a perdu l’usage de son membre érectile sous la torture dans les geôles du grand empereur Bourguiba qui le fit emprisonner pour un crime de lèse-majesté. Depuis, il ne côtoie plus de femmes hormis Shoshana qui se laisse aller à ses badinages érotiques presque enfantins. Mais cet instant d’adieu horrifiait Shoshana. Elle éprouvait du dégoût à l’égard de Marzouk incapable de l’honorer comme une vraie femme et tellement possessif pour ne laisser personne s’approcher d’elle.

Quand sa tête se blottit dans l’entre-deux-jambes de Marzouk son corps tressaillit et elle est prise de nausées. Dès qu’elle gagne sa chambre elle se met à se masturber d’une manière déchainée gémissant son plaisir jusqu’à en hurler puis elle éclate en sanglots.

A Carthage Shoshana régnait en maitresse respectée mais détestée. Elle s’occupait du harem de l’empereur et des familles de l’empire. Marzouk doit son ascension au pouvoir aux religieux à qui il ne refuse rien. En réalité c’étaient eux les vrais maîtres de Carthage. Shoshana l’avait bien compris. Elle savait qu’elle devait désormais avoir deux fers dans le feu, se mettre aux ordres des nouveaux maîtres hirsutes de la régence et continuer à satisfaire les lubies et les fantasmes enfantins de Marzouk.

Gagner les faveurs et la sympathie des hommes, Shoshana savait bien le faire. Le harem de Carthage grouillait de petites filles à peine pubères, c’est ce que les dignitaires enturbannés préfèrent le plus. Mais Shoshana gardait aussi quelques éphèbes pour certains riches hôtes étrangers aux goûts contre-nature.

Dans l’empire de Marzouk et de ses amis les fous de Dieu, la religion n’a pas tari la débauche au contraire elle l’a sournoisement encouragée sous couvert de justifications et d’exégèses. Shoshana est devenue ainsi le larron de cette nouvelle donne. Elle ne reculait devant rien pour étancher sa soif inextinguible de pouvoir. Il lui arrivait de cautionner et d’excuser les viols commis sur des femmes et même sur des fillettes. Elle aidait aussi à répandre les idées les plus obscures dans des écoles et des jardins d’enfants se disant coraniques.

Mais ni le faste ni le luxe de la nouvelle vie de Shoshana ne parvenaient à apaiser ses angoisses nocturnes. Chaque soir après la veillée érotique avec Marzouk elle regagne son lit froid, se masturbe violemment et ensuite prise de dégoût pour son bienfaiteur se sentant souillée et délaissée elle éclate en sanglot.

Ainsi, la vierge de Carthage s’étiole la nuit et renait le jour avec une colère sourde de plus en plus forte dans les entrailles.

*spectateur rigolard.