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La Tunisie, tel Le Titanic, navigue à vue, tanguant dangereusement, et menaçant naufrage. Les rêves nés des élections du 23 octobre 2011 sont-ils déjà enterrés? 

Par Karim Jaffel*

 

‘‘Le Titanic’’! Tout le monde se rappelle de ce film aux 18 Oscars. Les passagers chantaient, s'aimaient, se disputaient, se lamentaient... sans se soucier de leur présent et anticipant le vœu d'arriver à bon port. Tout le monde se rappelle du beau bâtiment qui flottait toute lumière allumée glissant sur les eaux glacées. Tout le monde se rappelle de ce silence précédent les courts circuits et l’agitation.

En attendant le naufrage

En Tunisie, tout le monde a chanté et applaudi les élections du 23 octobre. Chacun s’est logé dans sa cabine d’idées et a espéré arriver, dans un an, dans une Tunisie libre et démocratique sans trop de fatigue et sans y être dépaysé.

Deux ans après, le bateau tangue et les roulis sont impossibles à digérer. La texture du 23 octobre s’est effilochée. L’espoir d’arriver dans une nouvelle république est contesté. Le terrorisme s’est réveillé. Les armes ont proliféré. Les meurtres se sont multipliés. Chaque fait médiatisé est précédé par un silence de vérités.

Tel cet iceberg sorti de nulle part, les évènements sont tels des boulets portés aux flancs de notre destinée. Et trop de coups sont durs à encaisser : des jeunes abandonnés, des enfants déscolarisés, des irruptions de maladies pensées éradiquées : poux, ténia, gale, hépatite, rage. En quelques heures, l’insubmersible Titanic a perdu son illusion d’immortalité.

Ce monde parfumé prenait désormais des allures de chaos généralisé. Des sifflets de détresse, l’affolement des soudoyants cherchant à grimper sur l’un des canoës. Une panique au sein de l’équipage manœuvrant sans résultat pour extraire le danger. Un imbroglio de tourmente adouci par des musiciens qui jouaient le cœur serré par ce qui les attendait et certainement heureux d’alléger les souffrances des naufragés.

Certains se sont retrouvés à l’eau, agrippés à une écorche de balustrade qui reluisait à peine quelques heures auparavant sous les lumières et les ongles manucurés.

Les plus chanceux ont été sauvés et se sont reconstruits ailleurs que sur la terre espérée. Et le film prend fin sous les claquements de mains des applaudissements de ceux qui ont apprécié… la tragi-comédie.

Seulement, le 23 octobre tunisien n’est pas un film. Je fais partie de ceux qui ne comprennent rien en politique, de cette majorité citoyenne qui se lève tous les matins pour aller travailler et qui rentre le soir la tête en bouillie. Parmi ceux qui contestent ce galop accéléré de la cherté de vie. Parmi ceux qui déboursent de plus en plus pour maintenir ses enfants scolarisés et qui espèrent que la pédagogie déployée coïncide avec un futur inconnu.

Je fais partie de ceux qui n’ont pas de parti-pris, qui observent les politiques se déchirer et lesdits chevronnés changer de camp et d’idées. A chaque secousse des politiciens sautent pour s’emparer du gouvernail et virer à tribord en criant au danger. Ceux à la barre, décriés comme responsables de la fuite en avant, essaient de tempérer la situation. Ceux à l’opposition crispent les populations. Serrer et desserrer les sentiments d’espoir et de désespoir sans relâche fait qu’au terme de ces deux ans, les humeurs se grisent au point de douter de la venue des hirondelles au prochain printemps.

Pour l’instant, la destinée prend une allure de quasi tragédie. Chacun improvise et s’agrippe à un fragment d’illusions et d’ambition, dans une mer agitée, grouillante de requins politiques et médiatiques, faisant éloigner les uns des autres, de jour en jour, au risque d'en faire tomber quelques infortunés qui se prétendaient être libres, pieux, républicains ou démocrates, dans les abysses de la folie ou de l'oubli, sans que personne ne s'en aperçoive.

Le pire serait que nous continuons à glisser dans la divergence et le cloisonnement d’idées et de perception du mal et du bien. Infléchir la tendance, dévier de cette pente suggère courage et stratégie, amenant les uns et les autres à se protéger mutuellement, à regarder vers un horizon encore plus lointain, à travailler ensemble et à partager les mêmes valeurs pour un meilleur lendemain. Tel est le défi: faire que la courbe de succession de défaites s’inverse.

Donner du mouvement

Est-ce là, peut-être, le génie du Quartet(1) et sa résolution de dialogue national? Un processus qui suppose une écoute, un échange et une construction dans le temps. Démarrant aujourd’hui avec quelques partisans et demain élargi à toutes les forces politiques. Prolonger ce dialogue dans les régions à travers les associations. L’introduire dans les entreprises comme élément contribuant à la Résilience, à la Qualité et à la Sécurité. Réveiller des silencieux et mettre en mouvement toute la Nation Tunisie.

Un rêve? Un idéal auquel peut-être faudrait-il un mode d’emploi? Une architecture permettant aux uns et aux autres de se retrouver au travers d’un processus d’échange sans être largué. Telles sont probablement les aspirations du Quartet dans l’initiative de Dialogue.

Désormais, un travail préliminaire est nécessaire pour cadrer et donner à cette initiative assez de force pour creuser sa tranchée. Les préliminaires se trouvent dans les vérités à révéler, dans la bonne gouvernance et l’autonomie de gestion de la justice et des forces de sécurité, dans la liberté de presse et dans le capital confiance que chacun aura de lui-même pour se détacher de ses envies, de ses peurs et de son égo, pour se rapprocher de son voisin aux convictions et au passé bien différents du sien.

Si cet élan venait à se confirmer, chaque Tunisien serait un soldat d’idées et d’arguments pour faire naitre une république unie et civilisée.

Un rêve? Mais a-t-on d’autre choix que celui de rêver? Tel sera le défi renouvelé chaque matin, le défi de pouvoir contourner ces d’iceberg disséminés, nous menaçant à tout instant dans notre lancée.

Telle sera l’alchimie à créer pour donner du mouvement et porter au plus haut les ambitions de l’actuelle et des prochaines générations.

 

Note:

1- Le Quartet désigne les organisations nationales parrainant l'intiative de dialogue national: UGTT, UTICA, Ordre des avocat et LTDH).

illustration: unik-advertising.com.