Ali Larayedh menace de sanctionner les responsables du chahut lors des obsèques de deux agents de la sûreté nationale exécutés par les jihadistes, jeudi dernier, près de Goubellat. Est-ce raisonnable?
Par Lucien Belvaux
J'ai déjà eu l'occasion dans un précédent article de dénoncer le vice de M. Larayedh, le chef du gouvernement provisoire, lorsqu'il menaçait les démocrates qui oseraient s'attaquer à sa légitimité ainsi qu'à celle de son gouvernement, alors que ses collègues me déclaraient, la veille des élections du 23 octobre 2011, qu’ils prendraient le pouvoir par la force et la violence si le résultat des urnes ne correspondaient pas aux pronostics des sondages. Aujourd'hui, M. Larayedh remet ça en menaçant de sanctionner les responsables du chahut lors des obsèques de deux agents de la sûreté nationale exécutés par les jihadistes, jeudi dernier, près de Goubellat. Quel culot vous avez de les menacer alors que vous êtes le premier responsable de leur fin tragique! Depuis des mois, nombre d'observateurs étrangers vous ont alerté à de nombreuses reprises des évènements dramatiques qui frappent votre pays et provoquent la mort de vos soldats et de vos policiers. Jamais vous n'avez donné les suites énergiques qu'imposaient ces informations: découvertes de caches d'armes du nord au sud du pays, trafics d'armes sophistiquées venant de Libye à destination de la frontière algérienne, insécurité permanente d'hommes en uniforme, attaques répétées des postes de police sur l'ensemble du territoire, découverte de produits destinés à la fabrication d'explosifs, appels à la haine du haut des minarets, encouragements des militants et responsables d'Ennahdha à l'intention des jeunes tunisiens et tunisiennes pour le jihad armé ou le port du niqab... Plus grave encore: nous avons dénoncé les propos criminels de votre ami et protégé Abou Iyadh, qui déclare ouvertement attendre le retour de ses combattants de Syrie pour déclencher le jihad en Tunisie. Rien que ces seules déclarations méritaient poursuite, arrestation et lourde condamnation. Vous-vous êtes bien gardé d'intervenir. Au contraire, des ordres ont été donnés pour qu'il puisse quitter la Tunisie et se réfugier en toute sécurité auprès des rebelles libyens proches d'Al-Qaïda. Rien n'a été fait de votre part pour prévenir ces attentats, ces assassinats politiques, sécuriser vos agents, vos soldats, les préparer à la guérilla, les équiper en armes et en matériel adéquats pour qu'ils puissent rivaliser avec leurs assaillants. Non, vous avez manqué à votre devoir par peur des représailles de vos propres amis... Est-ce de la lâcheté, de l'incompétence ou tout simplement de la complicité? Et vous voudriez que leurs frères d'armes, leurs copains, en présence des cercueils de leurs camarades, habités par l'émotion et la révolte, vous acclament et vous accueillent avec respect? Si vous et vos collègues aviez été un tant soit peu astucieux, vous auriez dû comprendre que ce n'était pas votre place, que votre présence était déplacée et n'était nullement souhaitée. Un homme s'est montré digne et à la hauteur de la situation, Lotfi Ben Jeddou, l'actuel ministre de l'Intérieur. Il a trouvé pour la circonstance les mots justes mais à la fois terriblement accusateurs. De toute façon les représentants syndicaux, quelle que soit la corporation représentée, possèdent, de par leurs statuts, la liberté de s'exprimer librement. Si par malheur, vous décidiez de mettre vos menaces à exécution, je suppose que la réaction syndicale ne se ferait pas attendre et que tous vos agents, au lieu d'assurer votre propre sécurité, se croiseraient les bras. * Observateur civil international belge, ancien président régional du syndicat des enseignants CGSP-FGTB. |