violence etudiants 11 3Certains commentateurs islamistes clament que c'est l'opposition la véritable responsable des violences. Le dire c'est facile mais en convaincre le peuple c'est autre chose. Les auteurs des agressions, assassinats et attentats sont démasqués et ils payeront pour leurs crimes.

Par Lucien Belvaux*

En parcourant les titres de la presse tunisienne, j'ai eu mon attention attirée par deux informations qui ne m'inquiètent pas outre mesure mais qui méritent que l'on s'y attarde un instant.

Dans l'avant-propos de mon essai ‘‘Pas de démocratie sans elles’’, j'attirais l'attention du lecteur sur l'intérêt important que représentait le «no man's land politique» qui s'étendait du 23 octobre 2011 aux élections qui devaient couronner la rédaction définitive de la Constitution.

Le temps des assassins

En effet, durant cette période relativement calme et sans problème, il était essentiel, pour Ennahdha, s'il voulait être crédible et garder la confiance de son électorat, de «transformer l'essai» comme on dit dans le jargon sportif. En d'autres mots, il se devait de concrétiser deux objectifs majeurs. La réalisation effective de quelques promesses électorales importantes en matière d'emplois, d'éducation, de santé, de réalisations sociales... et d'autre part, en assurant la sécurité des Tunisiens et des Tunisiennes, en prenant toutes les mesures préventives nécessaires contre une violence larvée dès le 9 octobre 2011, lors de l'attaque des locaux de Nessma par un groupe de salafistes, violences dont on ne faisait pas mystère au quartier général d'Ennahdha.

Depuis plus de deux ans, c'est le fiasco complet. Pas un seul objectif n'a été réalisé si ce n'est une diminution assez mitigée du nombre des chômeurs faisant suite aux idées à la fois astucieuses et macabres de Ghannouchi... les encourageant d'aller combattre en Syrie sachant bien que beaucoup d'entre eux n'en reviendraient pas. Un calcul horriblement révoltant.

Quant à ce qui concerne la sécurité des citoyens et la prévention de la violence contre les biens et les personnes, c'est le désastre le plus complet. Depuis la projection de ‘‘Persépolis’’, la violence et les actes criminels n'ont cessé d'augmenter : ambassade, universités, écoles, postes de police, musées, mausolées, restaurants, cabarets, locaux des partis adverses... la violence loin de diminuer s'est amplifiée de façon inquiétante jusqu’à des sommets tragiquement impensables, l'assassinat de 3 opposants politiques et le massacre de jeunes soldats et policiers.

Ces sévices se sont intensifiés avec une cruauté sans limite et sans discernement partout où le pouvoir d'Ennahdha s'imposait, dans la magistrature où les juges étaient aux ordres et où les victimes se retrouvaient sur le banc des accusés, condamnées non pour la gravité des faits présumés ou éventuellement commis mais pour les sensibilités politiques et philosophiques des auteurs.

La violence s'est acharnée également contre la liberté d'expression des journalistes, des artistes, des avocats, des professeurs. Des machinations crapuleuses se sont traduites par des attaques ignobles jusque dans la vie privée, dans le but de déstabiliser des notables opposés au régime. Ils sont allés jusqu'à faire appel aux délateurs, aux dénonciations anonymes afin de faciliter la rédaction des fameuses listes noires de personnes à liquider physiquement sans oublier les appels à la haine et aux meurtres clamés du hauts des minarets par des prédicateurs grassement rémunérés par le régime, pour s'en prendre tout spécialement au statut personnel de la femme tunisienne, réclamant le retour à des coutumes rétrogrades, illégales, inhumaines voire des mutilations génitales cruelles et en totale contradiction avec les traditions tunisiennes et les Droits de l'Homme.

Il aura fallu les attentats avortés de Sousse et de Monastir, les menaces de licenciements des syndicalistes de la sécurité nationale et des écoliers qui leur avaient témoigné leur solidarité, pour que certains islamistes, échaudés quotidiennement par les contestations de la populace et leurs propres partisans, fassent «machine arrière toute» au point de créer de sérieuses querelles au sein même de la Troïka.

Organiser la contre-offensive

Il ne fallait pas être spécialement compétent pour appréhender une prochaine sanction électorale et un revirement significatif d'un électorat déçu et déboussolé. Il faut sans tarder organiser la contre-offensive, engager des commentateurs pour discréditer les auteurs des articles et faire croire à la population, par toutes sortes de stratagèmes, que c'est l'opposition la véritable responsable des violences.

Le dire c'est facile mais en convaincre le peuple c'est autre chose. Les Tunisiens et les Tunisiennes sont suffisamment intelligents pour faire la part du bon grain de l'ivraie. En deux ans, ils ont eu largement le temps de se forger une opinion valable et crédible.

En vue d'une campagne à l'Américaine, ils n'hésiteront pas à engager des stars du show-biz qui ne sont finalement que des provocatrices lâchées comme des chiens fous dans les manifestations hostiles au pouvoir pour y créer le doute, la confusion et la zizanie. Ces vedettes sont évidemment protégées et malgré leurs insultes aux forces de l'ordre, elles sont aussi vite sorties du poste qu'elles y sont entrées. C'est vrai que les forces de la sécurité nationale peuvent être noyautées par des membres des Ligue de protection de la révolution (LPR).

Après la prostitution «halal» en Syrie, ne vous étonnez pas de voir apparaître sur vos écrans Mériem Debi clamant son amour pour Ennahdha et s'offrant comme les déesses antiques à leur dieux et maîtres de la Troïka.

Tout est permis avec l'accord des responsables religieux dès qu'il s'agit de récupérer des voix pour les islamistes au pouvoir. Face à ce carnaval malsain, à cette débauche de contradictions, gardons-nous bien, démocrates et laïques, de tomber dans le piège de l'adversaire.

Je sais que ce n'est pas facile pour ceux et celles qui pleurent un être cher, victime de ces criminels et voyous, de rester dignes et calmes. C'est pourtant la meilleure façon de rendre hommage et de venger nos martyrs.

Gardons-nous de répondre à la violence par la violence. Gardons la tête haute, fixant les tueurs, les barbares dans les yeux avec dédain et mépris, dans un silence assourdissant qui va les désarçonner. C'est la meilleure façon de les vaincre, de leur prouver notre supériorité, d'imposer notre force morale, nos convictions, nos valeurs humaines. C'est de cette façon que nos jeunes résistants faisaient face à leurs bourreaux nazis. C'est de cette façon qu'ils leur prouvaient que malgré leurs mitraillettes et leurs fusils, ils leurs étaient de loin supérieurs. La laïcité, c'est la tolérance, le respect de l'autre malgré ses différences et ses croyances, c'est l'ouverture, ce sont les mains tendues en signe d'Amitié, c'est l'Amour de l'être humain pour lui-même, pour ce qu'il représente et non pour un dieu ni un paradis imaginaires qui vous ont toujours dominés par personnes interposées en vous privant des plaisirs d'une vie terrestre déjà tellement courte.

Un grand philosophe dont le nom m'échappe disait : Supprimez (pacifiquement) toutes les églises de la surface de la Terre et au même instant, la paix règnera partout sur le monde.

Illustration: des salafistes agressent des étudiants à la faculté des lettres de Manouba.