Lettre ouverte au futur chef du gouvernement Mehdi Jomaâ, afin qu'il entame son mandat en enlevant les barbelés, barrières dressées entre certaines catégories de la population, symbole absolu de la répression, du totalitarisme et de la peur.
Par Hedi Khaznaji
Monsieur le Premier ministre,
En cette fin d'année, je me suis mis à effeuiller les rêves que m'inspirent les lumières scintillantes de la ville. Je ne vais pas vous sortir le fameux «I have a dream», parce que des rêves j'en ai plusieurs, même si, avec le temps, j'ai dû enterrer quelques uns.
Je rêve en silence d'un monde en paix sans guerre, sans défaites ni victoires... et la prière de Voltaire m'accompagne: «Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères».
Mon deuxième rêve, je le fais à haute voix, j'ai même envie de le crier pour qu'il puisse couvrir la cacophonie qui vous entoure et qu'il résonne à vos oreilles. Ce rêve là, vous pouvez, si vous voulez, le transformer rapidement en réalité. Je vous demande simplement de supprimer les barrières qui sont dressées entre certaines catégories de la population.
N'ayez crainte, je ne vous demanderais pas un changement radical de la société vers davantage de justice sociale et de solidarité. Quand bien même vous voudriez le faire, vous n'aurez pas le loisir, avant les fatidiques douze coups de minuit, d'apprêter convenablement et habiller de pied en cap notre Cendrillon.
Non je ne vous demanderais pas l'impossible, je caresse des rêves et non des utopies ! Je pense plutôt aux barrières abominables de fils de fer aux extrémités acérées, éparpillées dans la ville, ces barbelés qui défigurent le paysage et qui sont de tout temps le symbole absolu de la répression, du totalitarisme et de la peur.
Le ministère de l'intérieur, l'ambassade de France, le palais de la Kasbah – dont vous allez être le principal locataire –... se sont retranchés derrière ces rouleaux de fil métallique.
On a voulu protéger la population qui peuple ces espaces et on n'a fait que multiplier les malentendus et exacerber la méfiance, l'incompréhension et l'exclusion.
N'est-il pas paradoxal qu'au moment où l'on cherche à rapprocher la population de sa police et de l'Etat, on renforce les moyens de leur isolement par des barbelés menaçants?
N'est-il pas paradoxal de clôturer et interdire au citoyen une partie des espaces symboles de la lutte pour la liberté, espaces où tout un peuple vit la même lumière?
Dressées entre les hommes, ces frontières froides et tranchantes que nulle verdure, nulle fleur, nul oiseau ne viennent égayer, figent les sourires, inspirent l'angoisse et le tristesse.
Ces fils gris, ronces métalliques entortillées originellement destinés au parcage du bétail du Midwest américain, sont les témoins des heures sombres de l'Histoire, les tristes marqueurs des guerres, des larmes, de l'isolement, des deuils, des tortures.
Monsieur le Premier ministre, offrez-vous l'opportunité de désenclaver vos bureaux et vous échapperez au burnout qui guette tout homme qui se protège derrière les barrières oppressantes. Faites-le pour vous, faites-le pour nous. Supprimez-les, rendez-nous nos rues et je vous promets que je vous aiderai bénévolement à ramasser les feuilles mortes des ficus, les papiers gras et autres sacs en plastique prisonniers des griffes des barbelés.
Inutile de vous dire, Monsieur le Premier ministre, qu'en cette fin d'année je rêve de liberté et de dignité, et j'ai décidé d'avoir les pieds sur terre et les yeux dans les étoiles. S'il vous prend le désir de me rejoindre, nous serons au moins deux à sourire avant les douze coups de minuit!
Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères.