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Ni Marzouki, ni Ennahdha, ni l'opposition n'ont facilité la tâche de Mehdi Jomaâ, le Premier ministre désigné par le «dialogue national», qui a préféré jeter l'éponge, ou presque.

Par Ridha Kéfi

Hier, peu après minuit, avant de rencontrer le président provisoire de la république Moncef Marzouki, au Palais de Carthage, il avait encore son sort entre ses mains.

Fort du soutien d'une majorité de Tunisiens, soucieux de mettre fin à la crise politique et de voir leur pays se remettre en marche, ainsi que de l'appui discret mais réel des partenaires internationaux de la Tunisie, qui se sont félicités du choix d'un technocrate indépendant pour conduire ce qui reste de la phase transitoire, Mehdi Jomaâ aurait pu imposer «son» gouvernement à toutes les parties et mettre ainsi tout le monde devant ses responsabilités.

Ce coup de poker aurait pu marcher, mais le Premier ministre désigné a préféré temporiser dans l'espoir d'obtenir un meilleur consensus autour de sa personne et de son équipe.

Seul contre tous...

N'ayant finalement pas présenté la liste de son gouvernement au chef de l'Etat, comme le stipule la loi portant organisation des pouvoirs provisoires, Mehdi Jomaâ a perdu le contrôle du processus politique devant aboutir à son installation au Palais de la Kasbah.

Pis encore : son sort dépend désormais d'une décision du locataire du Palais de Carthage.

Ce dernier, qui était, jusque-là, hors-jeu, a finalement bien manoeuvré, lui et son parti, le Congrès pour la république (CpR), pour empêcher l'accession de Mehdi Jomaâ à la primature et reprendre ainsi (provisoirement) la main.

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Mehdi Jomaâ reçu, samedi soir, au Palais de Carthage par Moncef Marzouki: "Je t'aime, moi non plus!"

C'est Marzouki, en effet, qui doit décider, dans les heures qui viennent, d'accorder encore un délai de 15 jours à Mehdi Jomaâ pour qu'il poursuive les discussions en vue constituer son gouvernement de consensus, ou... désigner pour cette tâche une autre personnalité de son choix et de son sérail.

Ce second scénario nous semble cependant peu vraisemblable, car si Moncef Marzouki désire ardemment nommer l'un de ses proches au poste de chef de gouvernement, il sait pertinemment qu'il aura du mal à le faire accepter par toutes les parties engagées dans le «dialogue national», y compris ses alliés du parti islamiste Ennahdha et d'Ettakatol, qui se verraient ainsi écartées du processus par un putsch politique de la présidence provisoire.

Quoi qu'il en soit, Mehdi Jomaâ a pris une décision de sagesse, même si elle complique la situation politique dans le pays. Considéré comme proche d'Ennahdha par l'opposition et soupçonné, par Ennahdha et ses alliés, d'être le cheval de Troie de l'opposition, il a dû subir les attaques de toutes les parties à la fois.

Ennahdha, et ses satellites (CPR, Wafa, Al-Mahabba), ainsi que des éléments du bloc démocratique, ont voté hier contre un amendement de l'article 19 de loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011, relative à l'organisation provisoire des pouvoirs publics, visant à porter l'approbation du retrait de confiance au gouvernement de «la majorité absolue des membres de l'assemblée» (50+1), comme c'est le cas actuellement, à un minimum de voix requis des 3/5e des votes exprimés (60).

Cet amendement, qui aurait permis au prochain gouvernement de travailler dans de meilleures conditions et, surtout, avec l'assurance de ne pas être déstabilisé, à la première occasion, par un vote de défiance, n'est finalement pas passé. Et on peut estimer qu'Ennahdha a beaucoup manoeuvré pour obtenir ce résultat.

Par ailleurs, et en s'opposant fermement au maintien du ministre de l'Intérieur Lotfi Ben Jeddou dans le nouveau cabinet, l'opposition n'a pas facilité la tâche de Mehdi Jomaâ, qui préfère garder ce magistrat originaire de Kasserine, à un poste où, 10 mois après sa nomination, il commence, selon lui, à donner satisfaction.

Les positions extrêmement tranchées et les flèches acérées lancées de tous côtés semblent avoir braqué Mehdi Jomaâ, qui ne pouvait courir le risque d'envoyer son équipe en pâture alors qu'il a dû dépenser une grande énergie pour convaincre certains de ses membres d'abandonner leurs propres affaires pour se mettre au service du pays.

Il a donc préféré, au terme de longs et éreintants conciliabules, faire marche-arrière, pour reprendre son souffle. Et se donner encore une possibilité de rapprocher les positions et d'obtenir le consensus recherché.

Moncef Marzouki à la manoeuvre

Il ne restait donc à Moncef Marzouki que de tirer les marrons du feu. Ce qu'il n'a pas manqué de faire avec une jubilation que certains de ses conseillers, notamment Tarak Kahlaoui, directeur d'un fantomatique Institut des études stratégiques (IES) rattaché à la présidence de la république, n'ont pas manqué d'exprimer tapageusement sur les réseaux sociaux.

Alors, adieu le «dialogue national» et bye-bye la «feuille de route», comme le crie ce dernier sur tous les toits... Pas si vite. Car M. Marzouki, élu par moins de 7.000 voix et qui doit son poste à ses alliés d'Ennahdha et d'Ettakatol, ne peut se permettre, aujourd'hui, de jouer en solo, au risque de se voir bientôt éjecté du Palais de Carthage par un vote de l'Assemblée.

On peut parier qu'il gesticulera encore quelque heures pour montrer qu'il existe encore, avant de se résigner à accorder un second délai de 15 jours pour Mehdi Jomaâ afin qu'il constitue son gouvernement de consensus.