Portées par «le vent» de la révolution, les activités informelles n’ont cessé de connaître un essor. L’une d’elles, l’optométrie, tente de se faire passer pour une activité légale et réglementée, or cela ne s’est encore jamais vu en Tunisie.
Par Amine Souguir*
Tout a commencé avec l'arrêté du 15 janvier 2013 qui a modifié le cahier des charges des opticiens lunettiers et qui a changé l’appellation «opticien lunettier» par l’appellation «opticien optométriste». Anis Feki, président de la Chambre syndicale nationale des opticiens de Tunisie, en a profité pour faire un lobbying intensif et publier, sur plusieurs sites d’information, un article où il affirme, à tort, que l’optométrie est reconnue en Tunisie et que les optométristes sont compétant pour, je cite, «la détection/diagnostic et le suivi des maladies oculaires et la réhabilitation du système visuel. L'opticien mesure ainsi la vue d'un patient alors que cette tâche était uniquement du ressort de l'ophtalmologue». De la prescription à la vente de matériel Anis Feki se base sur la définition de l’optométrie par le WCO (World Council Of Optometry), or l'arrêté du 15 janvier 2013 modifiant le cahier des charges des opticiens lunettiers précise très clairement qu’il est interdit aux opticiens lunettier, même devenus opticiens optométristes, de fournir un équipement optique sans prescription médicale, contrairement à la définition du mot optométriste qui pourrait laisser penser le contraire. La prescription et la vente de matériel médical ne peuvent pas se faire au même endroit selon un autre texte de loi. Les déclarations de Anis Fkih entrent surtout en contradiction avec la loi 21 de 1991 régissant le statut de médecin et de médecin dentiste, car la détection et le suivi des maladies de l’œil ne peuvent être effectués que par un médecin, et des peines de prison et des amendes sont même prévues pour les contrevenants. L’exercice illégal de la médecine expose la santé des Tunisiens à un danger inacceptable car une maladie oculaire non diagnostiquée à temps, telle que le glaucome, peut être une cause évitable de cécité et un enfant peut présenter des atteintes gravissimes qui se traduisent uniquement par un mal de tête «banal». Seul un ophtalmologue pourrait détecter de telles atteintes à l’occasion d’un examen systématique du fond d’œil. Pour ceux qui pourraient se demander quelles sont les raisons derrière de telles déclarations c’est simplement que M. Fkih est le promoteur d’une école d’optique et que des intérêts financiers énormes sont en jeu, car la reconnaissance de l’optométrie pourrait augmenter l’intérêt des futurs étudiants et fidéliser ceux qu’il est en train d’induire en erreur en ce moment même. Vers l’abrogation de l'arrêté du15 janvier 2013 L'arrêté du 15 janvier 2013 impose aux opticiens désirant s’installer un investissement tellement inutile et onéreux qu’il pourrait être qualifié de mesure protectionniste. Ils sont désormais obligés de s’équiper de moyens de diagnostique (lampe à fente) et même d'un réfracteur, or cet instrument est optionnel même pour un ophtalmologue et n’est utile que pour de forts débits de consultation. Ces instruments sont parfaitement inutiles pour un opticien dans sa pratique usuelle. Comparons avec les autres pays: l’optométrie n’est pas reconnue en France. Elle est reconnue en Angleterre où elle n’est autorisée que parce qu'il n’y a que 700 ophtalmologues pour 70 millions d'habitants. En Belgique, pourtant patrie d'origine des opticiens tunisiens, l'optométrie n'est pas reconnue. Il est nécessaire de préciser que l’optométriste en Angleterre est formé durant 5 ans et ne peut obtenir son diplôme qu’après plusieurs années de stages hospitaliers sous la supervision d’un ophtalmologue ce qui est loin d’être le cas en Tunisie. Des démarches sont actuellement en cours pour l’abrogation du décret du15 janvier 2013 qui ne peut pas perdurer au sein de la législation tunisienne et ne constitue en aucun cas une reconnaissance de l’optométrie. *Membre du bureau du syndicat des internes et des résidents de Tunis (SIRT/UGTT). |