La cinéaste salue le chef du gouvernement provisoire pour «le nouvel élan insufflé par le choix de s'engager sur le chemin de la modernité».
Monsieur le Premier ministre,
J'espère que vous comprendrez ma décision de m'adresser à vous publiquement malgré le côté inhabituel de ma démarche en de telles circonstances.
J'avais besoin après ces trois années sans retourner dans mon pays, auprès des miens, de m'exprimer une nouvelle fois publiquement car après l'avoir fait tant de fois, et dans diverses circonstances, pour m'insurger et faire entendre ma voix à chaque fois que j'estimais que le droit de tout citoyen et toute citoyenne à la libre expression était bafoué, il me semblait impératif, aujourd'hui, de le faire pour saluer ce que je considère être un signe positif.
C'est par un appel téléphonique de mon père, Béchir El Fani, que j'ai appris hier que m'invitiez à une réception en l'honneur des artistes, des intellectuels, et gens de culture, que vous offrez le 29 mars 2014 à Dar Dhiafa à Carthage.
Avant tout, je tiens à vous exprimer, Monsieur le Premier ministre, ma joie et ma gratitude de savoir que je n'ai pas été oubliée comme ce fut malheureusement le cas si souvent par le passé.
Je suis absolument honorée de votre invitation, mais je ne pourrai pas, à mon grand regret, être parmi vous, retenue à l'étranger par des impératifs professionnels.
Permettez-moi, puisque j'ai pris la liberté de publier cette missive, de rendre hommage à l'espoir suscité par la Tunisie à travers le monde et qui nous regarde à nouveau comme le pays de tous les possibles...
C'est je crois, l'effet positif de ce nouvel élan insufflé par le choix de s'engager sur le chemin de la modernité, et qui entre autre donnera tout l'espace nécessaire à tous les acteurs de la vie civile, et parmi eux les artistes, chacun et chacune avec sa singularité, et permettra à notre expression culturelle dans toute sa pluralité de contribuer au développement d'une véritable démocratie dans notre pays.
C'est du sud de l'Italie où je me suis installée il y a presque un an, pour y retrouver la lumière du soleil et le bleu de la Méditerranée qui me manquaient tant, que je vous adresse, sur fond d'espoir de retour prochain, l'expression de mon plus profond respect et mes plus vifs remerciements pour m'avoir fait comprendre, par votre invitation, que j'étais à nouveau la bienvenue chez moi.
*Nadia El Fani, cinéaste franco-tunisienne. Elle réalise des films de fiction et documentaire qu'on peut qualifié d'engagés. En 2011 son documentaire ''Laïcité Inch'Allah'' lui vaut des menaces de mort de la part d'extrémistes islamistes ainsi que 6 plaintes au pénal dont une pour atteinte au sacré. Elle risque 5 ans de prison. En 2012 sort "Même Pas Mal", grand prix du Fespaco 2013, un film réalisé avec Alina Isabel Pérez, une réponse cinématographique à la campagne de haine qu'elle a subi. Puis en 2013 avec Caroline Fourest elle signe ''Nos Seins, Nos armes!'', documentaire sur les Femen.