Alors que les Tunisiens attendent des actions économiques pour sauver le pays, Mehdi Jomaa se livre à un show médiatique. Sous le regard attendri de Washington et Paris...
Par Mohamed Chawki Abid*
Tout en évitant les pièges de l'angélisation ou de la diabolisation du chef du gouvernement provisoire, le très «technocrate» Mehdi Jomaa, des questions méritent d'être posées à propos de son «bilan», 100 jours après sa prise de fonction.
1) Pour qui roule-t-il au juste?
Au terme de 100 jours de pataugeage, le «Technocrate» enlise la Tunisie dans la crise socioéconomique, crise qui se trouve aggravée par des dérapages financiers difficilement réversibles touchant aussi bien les finances publiques que les paiements extérieurs.
Paradoxalement, la Maison Blanche et l'Elysée l'ont reçu en «chef d'Etat conservant les commandes pour longtemps», sans toutefois annoncer de Plan Marshall en faveur de Tunisie.
Entre l'acte et le verbe, Mehdi Jomâa a choisi la démagogie :
- Il faut redoubler d'effort?
- Il faut faire des sacrifices?
- Il faut réformer l'administration?
- Il faut rétablir les grands équilibres?
- Il faut finir avec l'hémorragie des devises?
- Il faut des ressources pour relancer la croissance?
- Il faut lutter contre la contrebande, le blanchiment d'argent et la fraude fiscale?
- Il faut atténuer la disparité des revenus et sauvegarder le pouvoir d'achat de la classe pauvre?
- Il faut restructurer les caisses sociales et de maladie?
- Il faut alléger la caisse des compensations qui pèse trop lourd sur le budget de l'Etat?
- Il faut penser à des énergies alternatives pour compenser la baisse de production du fossile?
- Il faut assainir les entreprises publiques déficitaires qui coûtent très cher aux finances publiques?
Oui, mais un chef de gouvernement qui n'explique pas comment faire ne peut jamais être crédible.
Que retenir du dernier voyage de Jomaa en France: sa rencontre avec François Hollande ou... la traversée de Paris en métro et le fricassé mangé à Belleville?
L'ancien ingénieur de Total a malheureusement raté son appel pour le «retour au travail» et l'«acceptation des sacrifices», vu qu'il a omis de balayer devant sa porte: sureffectif au niveau de ses conseillers, faible productivité, pas de communication sur l'impératif de relance, aucun quick-win, aucune priorisation des actions... Pourtant, les propositions ne manquent pas sur les médias sociaux, qu'il aurait pu exploiter pour en faire une synthèse féconde.
Ayant refusé d'en débattre avec les experts en la matière, il s'acharne à politiser le Dialogue économique tardif pour faire porter le chapeau aux partis politiques et décliner sa responsabilité dans ses 100 jours d'échec.
2) Plan Marketing
Pourquoi recourir aux spectacles? A-t-il performé pour agir avec triomphalisme? Ne cherche-t-il pas à décorer son tableau pour maquiller ses contre-performances? Est-il en train d'implémenter un plan à moyen terme, judicieusement cousu par ses sponsors? L'acteur du Business International avait pourtant affirmé avoir tout sacrifié pour bien servir son pays.
Depuis qu'il avait promis, le 28 janvier, à l'ANC, d'éteindre les feux et de stopper les hémorragies, il n'a jamais cessé de poser devant la caméra, conformément à un plan de communication subtilement concocté par ses sponsors.
Pourtant, il précise à chaque fois qu'il ne veut pas médiatiser ces actions, n'étant pas mordu du populisme.
Il avait aussi révélé lors de sa première rencontre avec les journalistes (25 février) qu'il ne pourra dire aux Tunisiens la vérité de la situation économique qu'après avoir trouvé des solutions.
Mais, 6 jours après (lundi 3 mars 2014), il a évacué son diagnostic dramatique sans prôner le moindre plan de réparation et de sauvetage. A ce jour, son diagnostic catastrophique demeure sans aucun plan d'actions.
N'attend-t-il pas le courrier de Washington pour entamer l'implémentation du Plan de Réforme du FMI?
Peut-être va-t-il recourir au concours du «Dialogue National» pour l'officialiser en bonne et due forme.
Les accueils chaleureux qui lui a été réservé à la Maison Blanche et au Palais de l'Elysée ne traduisent pas uniquement une volonté de coopération avec la Tunisie, et pourraient occulter un plan de collaboration machiavélique.
Enfin, n'oublions pas les campagnes de sondage habilement orchestrées par des ''Ong'' étrangères (IRI), ou national (Emrhod...), qui créditent Jomaa d'environ 70% d'intentions de vote, malgré son échec cuisant et bien qu'il ne soit pas éligible aux prochaines élections.
Toutes ces manœuvres d'outre-mer s'évertuent à le booster aux yeux de l'opinion publique pour légitimer une reconduction autoritaire lors du prochain quinquennat 2015-2019.
Tous ces événements convergent vers une lecture amère du personnage et nous conduit de conclure ceci : «N'ayant pas réussi à conduire des Actions Economiques, le Technocrate se livre à du Show Folklorique.»
Washinton a déroulé le tapis rouge à Mehdi Jomaa reçu par Barack Obama en «chef d'Etat conservant les commandes pour longtemps».
3) Et maintenant?
M. Jomaa a réussi à honorer son engagement envers Ennahdha, en nous démontrant que la situation est difficile à redresser, même si des technocrates «compétents» prennent les commandes. Rached Ghannouchi promet alors de le reconduire après les élections.
M. Jomaa a rempli son contrat avec ses partenaires du G7 et les institutions de Bretton Wood, pour nous révéler que la situation est chaotique et ne peut être soignée qu'à la faveur l'assistance du groupe FMI et le soutien de la troïka USA-France-Allemagne.
Ce mardi 29 avril 2014, François Hollande a annoncé la tenue de la «Conférence des Amis de la Tunisie», en septembre à Paris, à laquelle les bailleurs de fonds et les institutions financières internationales sont invités. Un programme d'accompagnement du Plan FMI semble se cuisiner entre Washington, Paris et Berlin. Va-t-on alors supplier M. Jomaa de veiller à sa bonne exécution?
* Economiste ingénieur.
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