Abbas-Netanyahu

En refusant d'envisager la création d'un Etat palestinien, Israël rend impossible la reprise des négociations et il sera difficile aux Américains de défendre sa cause.

Par Michel Roche*

Le 29 avril a marqué l'échec des négociations d'un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens, engagées 9 mois plus tôt à l'initiative des Américains.

Cet échec n'est guère surprenant si l'on considère le peu d'enthousiasme mis par les deux parties à s'engager dans le processus. Alors que l'échéance du 29 avril approchait aucun progrès n'avait été réalisé, M. Kerry avait pensé trouver le moyen de maintenir la dynamique: une libération de prisonniers par Israël devait permettre aux Palestiniens d'accepter un report de la date butoir du 29 avril. Le gouvernement israélien n'étant pas au rendez-vous pour la libération des prisonniers, l'Autorité Palestinienne a alors marqué son mécontentement en déposant une demande d'adhésion à 15 accords internationaux relevant des Nations Unies. En réaction, M. Netanyahou a décidé de mettre un terme aux négociations.

Kerry face à la résistance de Netanyahou

Un retour sur la période qui vient de s'écouler montre combien l'exercice était semé d'embûches. M. Kerry avait abordé la négociation en médiateur engagé; conscient de l'incapacité de chacune des parties à faire le premier pas, il s'était avancé avec les grandes lignes d'un projet de règlement final qu'il espérait bien faire accepter par chacun.

Pour faire admettre à Israël une solution territoriale qui soit la plus proche possible de la position de la Communauté internationale pour laquelle le retour aux frontières d'avant 1967 constitue la référence de droit, il demandait un certain nombre de concessions aux Palestiniens et surtout de reconnaitre le caractère juif de l'Etat d'Israël. C'était probablement sous-estimer à la fois les blocages qui existent au sein du gouvernement israélien et l'impossibilité pour M. Abbas de céder sur ce dernier point d'autant que la Ligue Arabe venait d'y opposer un refus sans appel.

M. Netanyahou dont le peu de sympathie pour le secrétaire d'Etat américain et pour M. Obama n'est un secret pour personne, n'a manifestement fait aucun effort pour faire avancer la négociation. La construction dans les territoires occupés a ainsi connu un développement spectaculaire au cours des 9 derniers mois montrant que, pour Israël, la négociation pouvait s'accompagner de nouvelles prises de gages sur le terrain. Le report de la libération des prisonniers a fait apparaître un Premier ministre israélien incapable d'imposer une décision difficile à ses partenaires de la coalition. Les Américains ne sont pas loin de dénier à M. Netanyahou toute vision et tout courage politique estimant que son objectif est simplement de durer.

En effet, officiellement les Américains s'efforcent de limiter les dommages en affichant la position que les négociations n'ont pas échoué et qu'elles connaissent simplement une pose; mais, plus les jours passent et plus l'exaspération à l'endroit du Premier ministre israélien se donne libre cours. C'est d'abord M. Kerry qui a évoqué le risque qu'un système d'apartheid ne s'installe à l'avenir aux cas où Israël entendrait maintenir sa présence jusqu'au Jourdain. Cette déclaration a provoqué une mini-tempête : le mot d'apartheid est tabou, même s'il a déjà été employé par des responsables israéliens. Toutefois, le Secrétaire d'Etat n'a pas été désavoué par M. Obama. Puis, en fin de semaine dernière, une analyse puisée manifestement aux meilleures sources et publiée à dessein dans le grand quotidien israélien, le ''Yediyoth Aharonoth'', faisait état de l'amertume de l'équipe de M. Kerry et très probablement du secrétaire d'Etat lui-même, à l'encontre de M. Netanyahou.

Abbas-Netanyahu-Obama

Obama n'a pas pu venir à bout de l'intransigeance de l'Israélien Netanyahou.

La lassitude de Barack Obama

Le Premier ministre y est présenté comme un homme qui n'est pas prêt à accepter la création d'un Etat palestinien et a donc saboté la négociation. Les reproches américains sont en effet lourds: outre la multiplication des constructions dans les implantations, M. Netanyahou a continué à exiger un contrôle total sur la sécurité du territoire palestinien, au mépris des réalités; il a refusé toute concession alors que M. Abbas faisait au contraire preuve d'une certaine souplesse; enfin, il ne s'est pas même donné la peine de prendre position sur les propositions américaines.

S'ajoutant à ce catalogue, le refus de prendre en compte l'offre de libération de l'espion J. Pollard en échange d'un accord sur la prolongation des négociations a été très mal pris à Washington. La proposition venait en effet de M. Obama qui avait assumé le risque politique d'aller contre une partie de l'opinion américaine et les milieux de la sécurité.

Désormais, les Américains adressent aux Israéliens un message très clair: les Palestiniens obtiendront leur Etat par la violence ou par l'action internationale, et Israël ne pourra pas s'y opposer. En refusant d'envisager la création d'un Etat palestinien, l'Etat hébreu rend impossible la reprise des négociations et il sera difficile aux Américains de défendre sa cause devant les instances internationales. Certes le soutien que les Américains apportent à Israël au titre de la sécurité ne devrait pas être affecté et la procédure d'examen du renouvellement du Partenariat stratégique pour 2014 est en cours.

En revanche, Israël ne peut plus compter sur l'appui automatique des Américains au niveau politique. Un changement est en train de s'opérer et le lobby pro-israélien a probablement atteint les limites de ce qu'il peut faire. Le prochain texte sur le partenariat stratégique sera très probablement voté au Congrès, mais il ne comporte pas la clause d'exemption de visa, pour la simple raison qu'Israël n'est pas disposé à offrir la réciprocité aux Américains d'origine arabe. La révélation d'une attitude discriminatoire vis-à-vis de certaines catégories d'Américains cause un dommage considérable dans l'opinion et ceci alimente en retour le débat sur l'apartheid. Le mot est aujourd'hui repris au sein du show business et le groupe des Pink Floyd fait campagne pour que les artistes cessent de se produire en Israël.

M. Netanyahou a été capable de faire échouer la négociation mais le temps ne joue plus en sa faveur or il faudrait qu'il fasse un geste pour faire baisser la tension, ce qu'il ne semble manifestement pas disposé à faire.

Certes les menaces de sanctions contre l'Autorité Palestinienne, qui avaient été brandies au lendemain de l'échec des négociations, n'ont pas pour le moment été suivies d'effet; en revanche, le Premier ministre entend pousser les feux sur la question de l'Etat juif et un projet de loi fondamentale pourrait être prochainement déposé au Parlement.

L'Etat d'apartheid du «peuple élu»?

M. Netanyahou peut-il atteindre cet objectif? C'est tout à fait probable compte tenu de l'état d'esprit d'une partie de son opinion, mais ce serait alors prendre un très grand risque sur le plan international, et ce n'est pas un hasard si Mme Livni, pourtant elle-même issue de milieux ultra nationalistes, y est opposée.

La qualification d'Etat Juif n'est pas neutre; les arguments palestiniens pour s'y opposer sont bien connus, ce qui l'est moins c'est l'analyse critique qui s'exprime désormais du point de vue juif. Le journal italien ''L'Unita'' vient ainsi de publier une interview de l'historien Zeev Sternhell, qui indique clairement les véritables enjeux du débat : exiger des Palestiniens qu'ils reconnaissent le caractère juif de l'Etat d'Israël reviendrait à leur demander d'admettre leur défaite sur le plan culturel et historique. Mais M. Sternhell va encore plus loin, estimant qu'Israël pratique déjà une politique de discrimination ethnique et d'apartheid. Historien reconnu du fascisme, il souligne que les options politiques des dirigeants israéliens actuels sont aussi celles de Jabotinsky, le très controversé fondateur de l'Irgoun. Pour lui, Israël est confronté à un choix fondamental : soit être le pays du «peuple élu», soit être un pays respectueux de la démocratie, de l'égalité et des droits de l'homme.

Les responsables palestiniens ont décidé de poursuivre l'action sur le plan politique. La procédure d'examen des demandes d'adhésion à une quinzaine de conventions des Nations Unies est en cours et les premières adhésions formelles ont déjà été enregistrées. S'il est trop tôt pour faire un premier bilan des conséquences exactes de ces adhésions on peut d'ores et déjà remarquer que la position de négociation de Mahmoud Abbas en est fortement renforcée, puisque l'application de ces conventions porte, de droit, sur l'ensemble des territoires occupés par Israël en 1967.

Abbas-Haniyeh

Mahmoud Abbas (Fatah) et Ismail Haniyeh (Hamas): la réconciliation interpalestinienne est en marche.

La réconciliation palestinienne en marche

Par ailleurs, le chef de l'Autorité Palestinienne a engagé le rapprochement avec le Hamas, qui commande à Gaza. De son point de vue, la démarche est logique puisqu'il ne peut y avoir d'accord de paix si Gaza n'est pas parti à cet accord.

Le chemin de la réconciliation sera probablement difficile et personne ne se fait d'illusions sur ce qui attend M. Abbas, mais le processus est engagé. Une première rencontre à Gaza à la fin avril a débouché sur un accord pour la formation d'un gouvernement de techniciens sous l'autorité de M. Abbas, dans un délai de 5 semaines; des élections seraient ensuite organisées dans les 6 mois suivants. Dans la foulée, M. Abbas vient de se rendre à Doha où il a rencontré le chef historique du Hamas, Khaled Mechaal qui a confirmé son accord à cette approche. On peut aussi penser que la question aurait été évoquée de savoir si l'Emirat était disposé à assumer une partie du fardeau financier au cas où Israël couperait les ressources de l'Autorité Palestinienne.

Alors que le Hamas ne peut plus compter sur la complaisance de l'Egypte, la période est favorable pour permettre à M. Abbas de reprendre pied à Gaza. La perspective ne fait certes pas l'affaire de M. Netanyahou pour qui le Hamas est un groupe terroriste qui n'a jamais renoncé à la destruction d'Israël et qu'il ne peut donc constituer un interlocuteur. Pour cette même raison il est également considéré comme un groupe terroriste par les Américains et les Européens. Mais M. Abbas qui a très médiatiquement condamné la Shoah, rejette l'argument en faisant valoir qu'en entrant dans la négociation le Hamas admettra implicitement l'existence d'Israël. M. Netanyahou n'en est pas ébranlé mais les Occidentaux peuvent mesurer aujourd'hui que la décision de rompre le contact avec le Hamas avait probablement quelque chose d'excessif; aussi leurs réactions sont-elles modérées.

Enfin, comment faut-il prendre l'hypothèse parfois évoquée par M. Abbas selon laquelle l'Autorité Palestinienne pourrait prononcer sa dissolution? Il s'agirait en effet de l'arme absolue puisqu'une telle décision reviendrait à remettre la responsabilité de l'ensemble des territoires occupés par Israël en 1967 sous l'autorité des Nations Unies. Mais ceci ressemble plutôt à une menace pour le cas où la situation échapperait au contrôle de l'Autorité Palestinienne.

A l'issue de ces 9 mois de négociations l'avantage n'est plus du côté israélien qui a fait la preuve de son incapacité à faire face à la réalité palestinienne, et pris le risque de s'affronter aux Américains. Bien plus, en mettant un terme à la négociation, M. Netanyahou a commis la faute de libérer M. Abbas de son engagement de ne pas entreprendre de démarches aux Nations Unies et les demandes d'adhésion déjà déposées ne sont probablement que le début du processus.

A New York, Israël va se trouver en position de faiblesse alors même que le soutien politique américain ne lui est plus automatiquement acquis. La fuite en avant sur le terrain, reste théoriquement possible; mais alors M. Netanyahou va se trouver en face d'un autre risque car le débat de fond engagé au sein du monde juif lui-même pourrait bien devenir plus aigu.

* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.

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