La Tunisie a besoin d'une mobilisation citoyenne et de tous les organes de l'Etat pour combattre le terrorisme et ses relais encore tolérés dans le pays.
Par Lotfi Maherzi*
La mort et la terreur, semées par les djihadistes d'Ansar Charia et d'autres groupuscules terroristes, continuent de frapper de jeunes tunisiens en service commandé dans l'espoir, devenu désormais probable, d'installer un califat fondamentaliste à la solde d'intérêts politico-financiers locaux et internationaux.
Le gouvernement de Mehdi Jomaa semble avoir pris conscience du danger devenu réel en prenant la question sécuritaire à bras-le-corps: fermeture des mosquées, des médias et des associations qui appellent à la violence ou font l'apologie du terrorisme.
Décisions salutaires mais insuffisantes
Ces décisions sont nécessaires et salutaires mais demeurent tardives voir inefficaces vu le contexte local et international.
Elles sont tardives car le ver est déjà dans le fruit. Le danger salafiste djihadiste est devenu réel, opérationnel et conquérant.
Depuis trois ans, le gouvernement de la troïka et la présidence provisoire de la république ont accordé à ces islamistes radicaux, consciemment ou naïvement, le temps de la maturation de leurs projets. Le temps d'endoctriner, de recruter, de développer des affaires dans l'informel, d'infiltrer la police et de former des cellules de recrutement pour le djihad.
Cette indulgence a conduit à leur renforcement dans l'indifférence et le silence des autorités provisoires de l'époque qui n'ont voulu ni s'opposer ni résister à ce fléau rampant. Dès lors, le fondamentalisme religieux a imposé sa loi et élargi sa base au point où, aujourd'hui, ses militants fêtent publiquement et en toute impunité leurs crimes contre les jeunes soldats.
Ces décisions sont inefficaces, parce que ces fondamentalistes radicaux ont pu compter sur des personnes et des réseaux nahdaouis infiltrés dans les forces de sécurité et dans l'administration. Durant trois longues années, le parti Ennahdha a noyauté discrètement toutes les administrations de l'Etat ainsi que les lieux de culte avec la complicité négociée de ses deux supplétifs d'Ettakatol et du CpR.
D'ailleurs, le masque est tombé le jour où Rached Ghannouchi, filmé à son insu, demandait aux salafistes, pressés d'en découdre, de la patience et de la raison, le temps de terminer le noyautage et le contrôle de la police et de l'armée.
Dès lors, faut-il être crédule, naïf ou simplement amnésique (par rapport à l'histoire des expériences islamistes dans le monde) pour espérer, un moment, que ce parti laisserait un gouvernement, fragile et sous contrôle, démanteler ses acquis et ses relais de salafistes.
Ces mesures sont inefficaces car la conjoncture régionale et internationale est favorable à l'islamisme politique et à ses filiales terroristes. D'une part, parce que la Libye est devenue un supermarché d'armes où les terroristes et trafiquants tunisiens s'approvisionnent en toute liberté.
D'autre part, parce qu'au-delà des exécutants et autres relais locaux, il y a les parrains, investisseurs et bienfaiteurs, qataris, saoudiens, américains et autres français, qui soutiennent financièrement, politiquement et diplomatiquement l'islam politique.
Les uns pour des raisons idéologiques et politiques (mettre en échec la contagion démocratique, la modernité et les libertés individuelles), les autres pour des intérêts économiques et stratégiques (dogmatisme libéral et économie de bazar d'Ennahdha). Mais tous convergent vers les mêmes finalités: la défense d'intérêts égoïstes, nationaux et stratégiques.
Pour le reste, la petite Tunisie connu pour sa tolérance et son sens de l'hospitalité, qui ils s'en soucierait vraiment aujourd'hui?
Se lever ensemble sans calculs
Autant de contraintes, de trahisons et de défaillances majeures qui annoncent des jours sombres et tragiques pour la Tunisie.
Ce pays si cher risque réellement de disparaître à cause du laxisme et des compromissions d'apprentis sorciers prêts à tout pour garder le pouvoir.
L'Algérie a payé lourdement le prix de son expérience islamiste. Aucun Algérien ne peut aujourd'hui effacer les traces indélébiles de la violence islamiste qui a provoqué plus de 100.000 morts et l'exil de milliers d'universitaires, intellectuels, cadres, médecins et chercheurs.
Les Algériens n'oublient pas non plus que les pouvoirs successivement en place se sont accommodés des islamistes et ce n'est pas la démocratie qui a permis au FIS de devenir une des forces politiques dominantes dans le pays, mais cela s'est fait, comme en Tunisie aujourd'hui, à la suite d'alliances intéressées et tactiques entre des partis dits démocratiques et les mouvances recyclées du FIS.
Alors quelles leçons en tirer et comment s'en sortir? Il faut d'abord une volonté politique déterminée de rupture structurelle avec une Assemblée constituante illégitime et les partis de l'ancienne troïka déterminés à rester au pouvoir.
Il faut aussi refuser et dénoncer toutes les intimidations, ingérences et pressions partisanes pour infléchir ou freiner cette détermination.
Il faut également une réelle volonté de l'ensemble des organes de décision de l'Etat (judiciaire, administratif, sécuritaire et militaire) pour éradiquer le terrorisme et ses relais encore tolérés aujourd'hui.
Il faut enfin que les Tunisiens participent à cet effort et qu'ils en fassent un enjeu citoyen avec cette urgence: se lever ensemble sans calculs ni ambitions politiques, pour lancer un front de résistance aux forces de l'obscurantisme. Un front pour dénoncer et combattre tous ceux qui développent la violence et la terreur portées par des fanatiques rêvant d'instaurer un 6e Califat et de régenter tous les détails de la vie des Tunisiens.
Ce front citoyen est le seul espoir de survie de la Tunisie et de réussite de sa transition démocratique. C'est bien de cela qu'il s'agit aujourd'hui pour sauver la Tunisie et lui éviter une catastrophe annoncée.
* Professeur à l’Université de Versailles Saint Quentin, à Paris 8.
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