L'auteur est une étudiante malienne en Tunisie, qui a beaucoup souffert du racisme dans un pays dont elle avait, pourtant, avant d'y mettre les pieds, une tout autre idée.
Par Mariam Toure*
Je m'appelle Mariam Toure, "Karaba" pour les intimes, et pour la plupart d'entre vous "kahloucha" ou "guirda guirda".
Je suis, officiellement, une malienne (mais selon certains de vos dires, de nationalité "africaine") qui vit depuis près de 3 ans en Tunisie, ou pays européen pour d'autres.
En quittant mon pays, il y a quelques années, je souriais à l'idée de découvrir cette Tunisie dont tout le monde parlait, le "Paris Africain", la "Dame digne de tous les éloges", le pays de tous les droits, la patrie de la liberté et de la tolérance.
Hmmmmm... naïf est celui qui met la la charrue avant les boeufs.
Helas, la phase d'émerveillement passée, je me suis rendue compte que de l'autre côté du miroir se cachait une face plus sombre, plus lugubre: une société infectée par le racisme. Infectée, me direz-vous, est un mot fort! Mais quel autre terme voulez-vous que j'emploie quand chaque jour passée au sein de cette société est presque un calvaire; quand chaque mot, insulte, humiliation que l'on subit, est un supplice; quand chaque regard haineux posé sur moi est un fardeau? «Infecté» serait plutôt un euphémisme.
Là, vous me direz : «Tu ne devrais pas juger tout un pays pour les actes de certains». Je vous repondrai : «Certes, mais quand on se fait agresser devant des personnes qui ne disent rien, quand on se fait insulter devant des individus qui ne bougent pas, quand on est touché de façon déplacée dans un transport en commun devant des personnes qui en rient ou préfèrent ignorer l'acte, que voulez vous que je vous dise?»
Pomme, orange, poire ou raisin, ce sont tous des fruits pour moi.
Au début, j'accusais l'ignorance, le non éveil des mentalités, mais aujourd'hui, j'accuse les intellectuels, qui sont au courant de tout ça mais ne mettent en place aucun moyen de les prévenir; j'accuse les intellectuels qui me disent : «Ne te laisse pas faire Mariam, affrontes-les»... Ohhh ! vous savez, j'adorai mais je ne veux pas que mon père ait à payer des frais d'hôpitaux ou ma mère à pleurer mon décès .
Que seriez-vous si, du jour au lendemain, je décidais de m'en aller, d'amener avec moi les milliers d'euros qui permettent à votre économie de sortir la tête de l'eau?
Que seriez-vous si, du jour au lendemain, mes frères et soeurs «africains» faisaient la même chose et vous tournaient le dos?
Que seriez-vous si, du jour au lendemain, les éloges que j'ai une fois entendus sur vous devenaient des avertissements: «N'y allez pas. Ils n'en valent pas la peine».
Ne prenez point mes mots pour une insulte, mon but n'est pas de vous insulter car si je décidais de vous rendre le quart des mots que vous m'avez jetés à la figure, 24h ne suffirait point.
Prenez-les comme les cris d'une soeur perdue qui ne comprend pas en quoi sa couleur de peau est source de moquerie.
Prenez-les comme la rage d'une soeur qui compte les jours qui la séparent de la délivrance, partir et ne plus jamais en entendre parler. Partir et ne plus jamais penser à revenir.
Prenez-les comme les larmes d'une soeur qui se rend compte qu'ils ont réussi à nous séparer. Plus qu'une guerre matérielle, ils ont créé une tumeur intellectuelle, sociale: le racisme, l'ignorance, la haine pour nous diviser.
Prenez mes mots comme ceux de tous ceux qui comme moi, posent le pied sur le sol de l'Afriqiah, la tête pleine de rêves, et en repartent le coeur plein de déceptions...
* Etudiante malienne en Tunisie.
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