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Béji Caïd Essebsi et Nida Tounes feront-ils entrer par la fenêtre du gouvernement le parti islamiste Ennahdha que les dernières législatives ont sorti par la porte?

Par Salah Zeghidi*

Des dizaines de milliers de Tunisien(ne)s ont vécu la défaite d'Ennahdha aux législatives du 26 octobre 2014 comme une déroute de l'islam politique dans leur pays. Certains ont même considéré les 85 sièges obtenus par Nida Tounes, présidé par Béji Caid Essebsi, soit 16 de plus qu'Ennahdha, comme une victoire sans bavure des forces civiles et démocratiques, représentées selon eux par ce jeune mouvement, créé en juin 2012, contre les forces obscurantistes représentées par Ennahdha, dont la création remonte à une quarantaine d'années.

Des lectures aussi rapides et aussi réductrices obstruent la voie à une compréhension pertinente des évènements et des évolutions enregistrés au cours des derniers mois.

Empêcher Ennahdha de revenir aux affaires

Il est incontestable que le recul d'Ennahdha est, qualitativement et quantitativement important, en comparaison avec ses résultats aux élections du 23 octobre 2011. Le mouvement islamiste a, en effet, perdu près du tiers de ses suffrages et plus de 20% de ses sièges. Ce recul traduit la colère et la déception d'un grand nombre d'électeurs et d'électrices vis-à-vis de la politique d'Ennahdha quand il était au gouvernement entre décembre 2011 et janvier 2014.

Quant au vote massif en faveur de M. Caïd Essebsi et de ses partisans, que certains ont expliqué partiellement par ce qu'ils ont appelé «le vote utile», il est clair qu'en dehors des 60 à 70% des électeurs destouriens qui, comme le prévoyaient depuis des mois les stratèges politiques et électoraux de Nida Tounes, ont voté pour l'ancien ministre de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères, et ancien président de la Chambre des députés, BCE en l'occurrence, qui a réussi à entrainer dans son sillage de très nombreux Tunisiens et Tunisiennes, non pas par conviction «nidaiste», mais pour contrer le plus grand danger menaçant le pays, à savoir le retour d'Ennahdha au gouvernement de la République. Le seul souci qui habitait ces électeurs et qui justifiait leur appui enthousiaste et quasi inconditionnel à Caïd Essebsi, c'était la conviction que ce dernier est le seul capable d'empêcher Ennahdha de revenir aux affaires gouvernementales.

Il reste maintenant qu'on est obligé de relativiser. L'islam politique n'a été, malheureusement, ni vaincu ni même sérieusement ébranlé. Ennahdha sort des élections avec les moindres dégâts. Il peut enregistrer avec amertume la déroute de ses alliés de la Troïka, l'ancienne coalition gouvernementale, mais en ce qui le concerne, en maintenant 69 de ses 89 sièges, il garde l'essentiel de ses forces et toute... sa capacité de nuisance!

Ennahdha peut aussi être satisfait par le fait que le parti de Caid Essebsi, tout en devenant le 1er à la prochaine Assemblée des représentants du peuple, n'a pas obtenu la majorité absolue des sièges lui permettant de gouverner.

Le scénario catastrophe du retour d'Ennahdha

Dans son amertume somme toute relative, le parti islamiste attend au tournant le parti victorieux qui doit sa victoire aux centaines de milliers de Tunisien(ne)s qui ne lui ont donné leur voix que pour leur garantir qu'Ennahdha, avec ses Larayedh, Bhiri, Dilou, Ben Salem, Mekki , Bouchlaka, etc., n'accède plus jamais au gouvernement de la République.

Ennahdha attend avec délectation que les tractations et les manoeuvres pour la formation du gouvernement aboutissent à des arrangements qui pousseront le chef de Nida Tounes à rechercher une majorité confortable (Nida et Ennahdha disposant ensemble de 154 sièges, soit 37 de plus que la majorité requise de 109) et à demander à Ennahdha – et d'autres parti, comme Afek Tounès – de participer à un nouveau de coalition.

On peut appeler cela «coalition», «alliance», «cohabitation» ou «consensus», mais, dans cette hypothèse, les représentants d'Ennahdha seront – de nouveau ! – membres du gouvernement de la République !

Expulsés du gouvernement par le puissant mouvement populaire d'il y a un an, ce scénario les y ramènera, qui plus est, après des élections censées sceller la défaite d'Ennahdha et la victoire d'un parti présenté comme l'adversaire le plus fort et le plus déterminé de l'organisation des Frères musulmans en Tunisie...

Un tel scénario serait, à plusieurs égards, catastrophique. Il consacrerait définitivement Ennahdha comme un parti «ordinaire», conservateur certes, mais ordinaire, parfaitement «fréquentable», et avec lequel on peut non seulement «cohabiter», mais aussi, et tout naturellement, gouverner!

Cela constituerait, par ailleurs, un terrible choc pour tous ces Tunisiens de la mouvance démocratique, y compris de gauche, qui ont rallié Nida Tounes depuis sa création, ou qui ont, par la suite, voté massivement pour BCE parce qu'ils le tenaient pour le seul capable de débarrasser le pays de l'islam politique, du moins l'affaiblir considérablement au point qu'il ne pourra plus se retrouver dans le gouvernement de la République.

La réalisation de ce triste scénario constituerait donc un véritable tsunami politique dont Nida Tounes aurait du mal à se relever!
M. Caïd Essebsi est-il disposé à terminer sa longue carrière politique en accordant à Ennahdha et à l'islam politique une attestation de «fréquentabilité» et de crédibilité garantissant à Rached Ghanouchi et à son parti théocratique et obscurantiste une existence politique au cours des décennies à venir?

* Universitaire.

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