BCE, l'acronyme de Béji Caïd Essebsi, candidat de Nida Tounes pour la présidentielle du 23 novembre 2014, pourrait signifier, également, «Bon Choix Electoral». Et pour cause...
Par Me Fethy Ajabi*
Loin du jeu de mots facile que l'on pourrait – à juste titre – m'objecter et d'un discours idéologique partisan ou ampoulé, j'avance quatre bonnes raisons au moins pour expliquer mon choix.
Restaurer l'image de l'Etat
Je vote en faveur de BCE afin que l'image de l'État soit restaurée et redorée... Un État, dont le premier responsable n'est pas moqué à longueur de journée à cause de ses frasques, est respectable et suscite beaucoup de considération et d'intérêt, à l'intérieur et à l'étranger... Ce n'est pas rien.
Avec tout le respect que je dois à M. Caïd Essebsi, je préfère un président d'un âge respectable qu'un autre moins âgé mais fantasque et versatile, ou impulsif et imprévisible.
Pour marquer la différence et souligner les attributions dévolues au président de la République, je dirai que ce dernier n'est pas un simple fondé de pouvoir au sein d'une organisation quelconque ayant reçu mandat de négocier ou de conclure, pour le compte de ses mandants, des opérations importantes. Un président de la République, c'est autre chose. Il s'agit de la fonction politique la plus prestigieuse encore dans notre pays, nonobstant le régime parlementaire multipartite consacré par la constitution adoptée en 2014, de par l'ordre protocolaire, mais aussi en tant qu'incarnation de l'autorité de l'État.
Le président est le chef des armées, le garant de la constitution. Il tient un rôle éminent en matière de politique étrangère. Toutes attributions qui requièrent des qualités précises, notamment la respectabilité, la compétence, le sérieux et la force de persuasion.
Sauvegarder l'unité nationale
Je vote BCE pour aussi sauvegarder l'unité nationale et le fameux «vivre ensemble».
Un temps déchirée, l'enveloppe communautaire a besoin d'être recousue. Les ravages de la défunte troïka sont encore prégnants dans les esprits. L'actuel président, et néanmoins candidat à sa propre succession, n'a pas levé le petit doigt pour s'opposer aux discours haineux et diviseurs des intégristes séparant les Tunisiens en croyants et incroyants, nordistes et sudistes. Pis, et comme un défi au sens commun, il a tenu à recevoir ostensiblement les tenants de l'orthodoxie religieuse et sectariste au palais de Carthage... Les mêmes groupes ô combien infréquentables qui orchestrent – actuellement – sa compagne électorale.
Aux menaces venues du dehors (le terrorisme qui nous guette) s'ajoutent ainsi des dangers systémiques du dedans. J'emplois l'adjectif systémique, car, en effet, ces faiblesses imputables au désenchantement collectif font système. Elles se propagent de façon invisible et viennent saper, dans toutes leurs ramifications, des sociétés qui se croyaient à l'abri. Qu'est-ce à dire? Que ni les discours tardifs et avantageux, tenu par le président actuel, sur l'unité nationale que l'on entend à une petite semaine du scrutin ni les proclamations cambrées ne suffisent à faire renaître une détermination historique, si le substrat du «vivre ensemble» vient à manquer, c'est-à-dire un minimum de lien social et d'appétence démocratique.
Aujourd'hui, le risque interne ne réside pas tant dans un contrôle despotique (hégémonisme quand tu nous tiens) que dans la fragmentation – c'est-à-dire l'inaptitude de plus en plus grande des gens à former un projet commun et à le mettre à exécution. Plus l'électorat se fragmente, plus il transfère son énergie politique à des groupes minoritaires, et plus le danger menace.
En entendant de manière redondante «Non à la contre-révolution», «Non au retour des anciens symboles de l'ancien régime», «Non à la prééminence d'un seul bloc politique», on crée un clivage artificiel entre les Tunisiens fondé non sur les mérites des uns et des autres mais sur une excommunion qui obéit essentiellement à des critères idéologiques, religieux, voire régionalistes... Or, la Tunisie est un bien commun indivis qui appartient à tous les Tunisiens abstraction faite de leurs appartenances partisanes ou de leurs croyances. Nous sommes divers – et c'est heureux du reste – mais nous formons une entité qui doit transcender précisément ces tissus indifférenciés.
Réhabiliter la compétence et l'expérience
Je vote BCE pour l'expérience. La gestion d'un État, même si dans la nouvelle constitution, celle-ci, en incombe essentiellement au gouvernement, force est de constater que les Tunisiens en ont assez de l'approximation, de l'empirisme et du noviciat.
L'étape par laquelle passe la Tunisie commande, donc, une reconstruction rapide et raisonnée de l'appareil d'État afin que les services publics – un temps paralysés par les surenchères revendicatrices et le cynisme vindicatif – retrouvent enfin leur vitesse de croisière.
Seul un homme ayant blanchi sous le harnais du pouvoir sait rapprocher les points de vue, faire les concessions nécessaires pour créer le consensus entre les partenaires sociaux.
Pour un exécutif soudé et harmonieux
Je vote BCE, enfin, pour la cohésion entre le chef de l'État et le chef de l'exécutif. A défaut d'osmose entre les deux pôles de l'État, les règles de la bonne gouvernance impliquent cohérence et responsabilité pour une meilleure lisibilité du travail gouvernemental ainsi que son économie générale. Dès lors que le chef de l'État et le chef du gouvernement sont issus du même courant politique, ils ont moins tendance à agir sous l'empire de la passion et à œuvrer de concert dans l'intérêt de la collectivité nationale.
Je ne reviendrai pas sur les expressions les plus convenues de la nouvelle vulgate («Haro sur l'hégémonisme, on doit créer des contre pouvoirs pour endiguer le despotisme rampant du nouveau président de la République») qui traduisent une asthénie de la volonté et une peur diffuse de l'alternance, je dirai in fine que faire route ensemble, en tenant compte de nos spécificités, c'est d'abord apprendre à s'autolimiter pour se donner les moyens de contenir l'hubris, la démesure, les pulsions destructrices qui bouillonnent dans l'inconscient de toute communauté humaine.
* Avocat.
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