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Les hauts fonctionnaires de l'État ayant servi sous Bourguiba et Ben Ali sont, dans leur majorité, des «mounadhel», des militants qui ont sacrifié leur vie pour servir son pays.

Par Lamiss Kerkeni

Je suis la fille d'un haut fonctionnaire de l'État ayant servi sous Bourguiba et Ben Ali. Bref, mon père a le profil type de ceux que certains appellent, sans recul critique et sans nuance aucune, «zelm» (pluriel «azlem»). Certains le font par conviction tandis que d'autres par simple mimétisme.

Pourtant, je n'ai nullement le souvenir que mon père ait profité d'un quelconque système ou de quelque privilège que ce soit. Nous avons vécu simplement et parfois même difficilement avec le salaire d'un fonctionnaire tunisien.

Ni privilèges ni passe-droit

Nous avons fait la queue pour accéder aux ministères, aux banques et autres institutions publiques et privées, comme n'importe quel citoyen. Nous avons connu le chômage et nous nous sommes battus pour trouver de l'emploi. Nous n'avons jamais bénéficié d'un passe-droit.

Oh que oui, nous aurions pu ! Mais mon père ne l'a jamais voulu, lui qui ne manquait pas de nous «rappeler à l'ordre», lorsque notre comportement ou nos agissements ne correspondaient pas à ceux de la jeunesse qu'il voulait pour son pays et à l'image qu'il fallait en refléter. L'ambassadeur de Tunisie et sa famille se devaient d'honorer la fonction et surtout la patrie, en tout temps et en toutes circonstances.

Pas de jours fériés, pas de congés, c'est en permanence que nous étions épiés!

Nous étions la vitrine d'un pays qu'il a aimé de toutes ses forces, à la folie, pour le meilleur et pour le pire... Beaucoup trop souvent pour le pire.

Trente cinq ans de carrière après, des bouts de sa vie fièrement sacrifiés, je dis orgueilleusement aujourd'hui, mon père aussi est un «mounadhel», un militant qui a sacrifié sa vie pour servir son pays.

Pour que celui-ci rayonne, où qu'il soit, mon père a même, parfois, sans hésiter, risqué sa vie, sans parler de sa famille qui en a constamment pâti.

Non je n'exagère pas, renseignez-vous sur certaines missions menées par ces soldats sans uniformes et que vous avez ô combien sali depuis!

Mais mon père n'est pas le seul que vous avez éclaboussé. Ils sont des centaines à avoir été des exemples de droiture et d'incorruptibilité. Dans un système certes gangrené, ces soldats menaient une bataille quotidienne et sans pitié, sans même que vous ne le sachiez. Eux aussi ont connu et subi le favoritisme, le népotisme et la corruption. Or ils savaient que leur rêve d'une Tunisie moderne et développée, d'un peuple instruit et épanoui ne pouvait se concrétiser sans l'édification d'un État fort, mais juste, équitable et transparent. Un État fondé sur les valeurs nobles en lesquelles ils croyaient depuis la fameuse date du 20 mars 1956 et pour lesquelles ils ont, sans relâche et contre vents et marées, travaillé durant toutes ces années.

Faire la grève de la faim, se faire battre, intimider et emprisonner n'est pas la seule façon de militer. D'autres moyens existent, souvent plus efficaces et ce sont ceux que ces soldats sans uniformes ont choisi pour mener leur combat.

Toutefois, vous n'avez pas hésité à les calomnier, tous, sans aucun discernement.

Vous avez dénigré le labeur acharné de toutes ces années, parfois de toute une vie du simple revers de la main.

Vous avez éclaboussé, sans égards, toute une génération, celle qui a fait de ce pays ce qu'il est. Vous l'avez condamnée, globalement, sans distinction et surtout sans procès.

Quelle douleur !

Les soldats de la république

Encore aujourd'hui, à l'aube du deuxième tour des élections présidentielles, vous continuez à faire cet amalgame si blessant, si désolant, entre ceux qui se battent pour qu'enfin ce pays aille de l'avant et bâtisse une société progressiste et ceux qui l'on pillé et infecté pendant toutes ces années.

Quelle erreur!

Quelle ingratitude!

Quel dommage !

Ces soldats de la république, ne sont pourtant pas ceux qui ont demandé réparation, occupé les plateaux de télévision pour vous servir des discours hypocrites, démagogiques, dangereusement malhonnêtes et poussant à un clivage violent au sein d'un même peuple.

Non, la blessure était trop profonde, la déception trop grande. La plupart d'entre eux se sont réfugié dans le silence, méditant et tentant de trouver un sens à cette avalanche d'attaques et d'accusations dénuées de sens. Car comment raisonner un peuple hystérique dans sa recherche folle de bouc-émissaires? Comment leur dire ce qu'il en est, sans passer pour des vautours en quête de gloire?

Impossible de se faire écouter dans ce vacarme ambiant, dans cette agitation étourdissante, ils savent bien que seul le temps, seule l'Histoire saura leur faire réaliser qu'ils se sont lourdement trompés.

Ils comprendrons un jour qu'ils ont sali, blessé et même bafoué la dignité d'une génération de soldats qui ont fait de notre pays ce qu'il est.

Car l'Histoire ne ment pas et un jour la vérité se dressera devant vous et son regard perçant vous glacera.

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