Dans son texte de démission d'Al-Joumhouri, Taïeb Houidi exprime l'«amertume d'avoir vu et vécu le délitement» du parti, dont il était membre du bureau politique.
Par Taïeb Houidi
Pour moi, comme pour plusieurs d'entre nous, la politique est une question de convictions, et la démocratie une question de majorité. Or le peuple – qui n'aspire qu'à la sérénité et au bien-être – a tranché pour ceux qui lui semblaient répondre le mieux à ses aspirations. Dans notre message, il n'a rien trouvé de ce qu'il attendait.
Pour Al-Joumhouri, j'ai le sentiment de cataclysmes successifs, celui du 9 avril 2012, puis celui de juillet 2013, pour lesquels j'ai longuement mis en garde, bien que je considère l'attitude de «je vous l'avais bien dit» comme détestable. Mais je n'en garde d'autre amertume que celle d'avoir vu et vécu le délitement de mon parti.
J'ai également ce sentiment de Sisyphe, de réaliser et refaire, pour regarder, impuissant, l'édifice s'écrouler encore et encore. Et puis combien de projets inachevés ou avortés, combien de décisions non assumées, combien d'intentions non abouties...
Je reconnais ma part de responsabilité dans ces débâcles, car j'en ai été partie-prenante, tout comme celle d'avoir, un court instant, pensé que les «partis du centre» pouvaient faire contrepoids à l'hégémonie de Nida Tounes, avec l'appui sincère et bienveillant de «toutes les forces démocratiques».
Aujourd'hui, la question est celle du choix, par le parti, du candidat au second tour de la présidentielle. En donnant aux militants la liberté de vote (qui se traduira en majorité par un vote blanc ou nul, voire par l'abstention), nous allons, encore une fois, à contre-sens de l'Histoire. Je considère que c'est une erreur, car aujourd'hui n'est pas hier.
Notre parti est très faible; ne pas prendre position en cet instant si crucial, c'est du moins le disqualifier, sinon le condamner à se déliter encore plus.
Je pense au contraire qu'il est nécessaire de donner un soutien critique à Béji Caïd Essebsi, sachant que Nida n'a pas à lui seul la majorité à la Chambre et que la fonction présidentielle est diminuée par rapport à ce qu'elle était.
Le problème n'est pas de s'aligner sur le vainqueur des élections, c'est de faire un choix sociétal et culturel, qui me semble plus important que celui d'être fidèles au serment du groupe du 18-Octobre. Je considère que cette fuite devant le réel est une trahison de l'idéal incarné par Al-Joumhouri et pour lequel j'y ai adhéré.
Mais je ne peux que m'incliner devant la majorité du bureau exécutif, qui a fait le choix... de ne pas choisir. Or, cela est aux antipodes de mes convictions. C'est pourquoi je pense qu'il est temps de partir. Ma décision est aussi due à des différends fondamentaux sur la stratégie à adopter pour le redressement du parti. Car, dès demain, et pour les prochaines années, il sera indispensable d'adopter des méthodes et des postures différentes. Or, je constate que le parti n'est pas prêt à effectuer et assumer ces changements. Il continue à s'abîmer dans le carcan de ses dogmes, de ses postulats et de ses aphorismes.
J'assume cette décision irrévocable, car je ne peux, au nom de la loyauté, trahir mes propres convictions. Mon libre-arbitre, fondement de la l'éthique démocratique prônée par Al Joumhouri, me le dicte de façon ineffable, tout autant que douloureuse.
Je garde le sentiment d'avoir fait avec vous un bout de chemin utile pour le pays.
Mon amitié à l'égard de vous tous reste intacte.
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