Il est, peut-être, illusoire de penser que des fonctionnements aux standards démocratiques habituels puissent s'installer rapidement en Tunisie.
Par Tarak Arfaoui
Les dernières élections législatives et présidentielle en Tunisie, estampillées démocratiques, transparentes et régulières, les premières dans le monde arabe, ont certes révélé la maturité civique et politique d'une frange de la population tunisienne mais elle a mis aussi au grand jour les misères cachées d'un certain électorat tunisien qui, par l'absence d'une culture civique et par immaturité politique, s'accroche encore à des reflexes archaïques incompatibles avec l'instauration d'un Etat démocratique moderne.
En effet, peut-on parler de suffrage quand la religion, le tribalisme, le régionalisme et le corporatisme constituent la toile de fond du débat la politique?
Les scores réalisés par certains candidats aux législatives et présidentielle dans leurs fiefs respectifs, quelle que soit leur couleur, sont en fait très révélateurs du «khobzisme» ambiant (littéralement absence d'opinion politique) qui est un label spécifiquement tunisien façonné par tant d'années de dictature politique.
Allez demander aux Mrazigues du sud, qui ont voté massivement pour Moncef Marzouki, quel est son programme politique pour les années à venir pour faire sortir la Tunisie du bourbier dans lequel il l'a embourbée.
Allez demander aux Ouled Hamed de Sidi Bouzid, qui ont fait un plébiscite incroyable à Hachemi El-Hamdi, un enfant du terroir, comment il va éradiquer le chômage endémique et la misère de cette région.
Allez demander aux 150.000 fans de Slim Riahi, de quoi remplir deux stades de football, par quelle baguette magique leur candidat va-t-il faire une croissance économique à deux chiffres.
Allez demander à l'électeur islamiste lambda par quel moyen, après tant d'échecs, Ennahdha va-t-il améliorer sa situation sociale?
Cet amer constat social sur fond de crise identitaire, culturelle et politique est en fin de compte incompatible avec le développement d'une démocratie naissante qui se targue d'être un exemple dans le monde arabe.
La révolution tunisienne est venue peut-être un peu trop tôt pour un peuple certes aux traditions séculaires bien ancrées mais malheureusement façonnées par tant de jougs, de vicissitudes et d'omnipotence qu'il est illusoire de penser que, dans un laps de temps aussi court, des fonctionnements aux standards démocratiques habituels puissent s'installer rapidement en Tunisie.
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