Le prochain gouvernement devra trouver, dans les réformes à mettre en place, les équilibres nécessaires entre les exigences de la compétitivité et celles de la souveraineté.
Par Hédi Sraieb*
La parenthèse des élections générales étant sur le point de se refermer, le second tour des présidentielle étant prévu pour le 21 décembre 2014, le gouvernement de transition rappelle aux nouveaux représentants du peuple leur obligations constitutionnelles. Celle notamment d'examiner et de voter la loi de finances 2015 avant le 10 décembre.
«Prêts contre réformes»
Histoire d'enfoncer le clou, le ministre de l'Economie et des Finances a fait savoir que l'équilibre financier pouvait de nouveau être compromis faute d'avoir entamé les réformes structurelles nécessaires à la relance de l'économie, réformes tout autant souhaitées et attendues par la communauté des bailleurs internationaux.
Dit plus crument, le ministre fait état d'un «non perçu» de l'ordre de 1,5 milliard de dinars du à la non promulgation d'une nouvelle loi relative au cadre de l'investissement et de la concurrence, ainsi que d'une loi sur les PPP (partenariats publics privés).
Il rappelle, à demi mots, si besoin était, qu'il n'y a aucune philanthropie dans les relations internationales et que derechef, le FMI a mis des conditionnalités – certes concertées – à la poursuite du soutien au processus de redressement économique du pays. Soit de manière insistante et anaphorique: «Prêts contre réformes».
Nul besoin ici de revenir sur le caractère inique de ce pseudo «donnant-donnant», indigne et attentatoire à la souveraineté, la partie tunisienne (la Troïka puis le gouvernement issu du dialogue national) ayant souscrit à ce principe et donné pleinement leur accord à cette démarche. Ainsi vont les rapports des forces...!!!
Cette mise en demeure est explicite sans pour autant être menaçante. Mais une injonction intimidante désormais intériorisée se fait plus visible et plus forte ces derniers jours. Coup sur coup, Premier ministre, ministre des Finances, gouverneur de la Banque centrale se succèdent sur les plateaux, dans les conférences, et plus généralement dans l'ensemble des médias pour insister sur l'urgence du parachèvement de ces réformes, entamées mais laissées en chantier depuis plus d'un an!
Ces lois seront votées «coûte-que-coûte» font savoir les responsables du moment, et sauf surprise improbable, par ceux la même qui s'apprêtent à leur succéder à la direction des affaires du pays.
Il ne fait désormais plus de doute qu'une majorité parlementaire sera trouvée pour entériner ces nouvelles dispositions législatives et réglementaires, sous réserve, de modifications toujours possibles.
Il faut donc «faire contre mauvaise fortune bon cœur», dit l'adage, bien moins explicite cependant que ses homologues anglo-saxon: «to make the best of a bad job» ou «to make good of a lousy situation». Dit autrement, il serait souhaitable de corriger et d'amender positivement ces textes.
Des lois contestables et contestées
Il convient en effet de rappeler que la nouvelle loi-cadre de l'investissement en gestation ne devrait être qu'une version simplifiée du projet de nouveau code des investissements (élaboré sous la houlette l'IFC-OCDE, mise en forme par Ernst & Young et rédigé par le cabinet Kallel) proposé à l'Assemblée nationale en juillet 2013. Un texte qui fût accueilli froidement, objet de vives critiques (nivellement par le bas de la condition salariale, dumping fiscal, détention par des étrangers du foncier). Au Final un texte retiré sous la pression aussi d'un patronat très remonté par certains articles.
D'un autre coté, il est bon aussi d'avoir à l'esprit que le projet de loi sur les PPP est précédé d'une réputation sulfureuse à l'échelle internationale (le fiasco du métro et des chemins de fer britanniques, les multiples scandales des concessions autoroutières ou de traitement des eaux en Amérique Latine ou en Asie). La longue liste des échecs patents n'a d'ailleurs rien à envier à celle non moins édifiante des désastres, et ce dans des pays censés disposer d'expérience et d'atouts indiscutables: Abandon de concessions des eaux en Californie, de nombreux projets dans le domaine de l'éducation et la santé publique au Canada, ou le retentissant scandale du ferroviaire concédé en Nouvelle-Zélande.
Bien conscientes de la difficulté de l'exercice, les autorités vont donc devoir faire un effort de pédagogie et possiblement concéder quelques aménagements, évitant ainsi de s'exposer à une possible pluie d'amendements qui finirait par dénaturer ou torpiller ces deux textes importants. L'enjeu global est considérable!
L'adoption de ces deux lois-cadres permettrait d'envoyer un signal (symbolique) fort en direction des investisseurs tant locaux qu'étrangers. Un déclic qui permettrait de faire sortir de leur léthargie les investisseurs locaux échaudés par les troubles sociaux et sécuritaires. Il en irait de même, pour les investisseurs internationaux en quête de «projets d'envergure».
Le raisonnement est on ne peut plus simple : revigorer l'appétit de l'investissement privé pour des projets où l'Etat est partie prenante, offrant ainsi une sécurité inégalée, celle de la puissance publique. Voilà un puissant effet de levier notamment pour les projets en direction des régions de l'intérieur.
Exigences internationales et souveraineté
Sans pouvoir développer plus avant au risque de tomber dans un juridisme abstrait, quelques remarques de bon sens s'imposent néanmoins.
S'agissant du code des investissements, les autorités en recherche de simplification et de rapidité, devraient abandonner l'idée d'un haut conseil national de l'investissement (Art 41-46): structure jugée suspecte et – qui plus est – redondante par rapport aux mécanismes de redevabilité démocratique. Une réécriture qui devrait se contenter d'aller vers une harmonisation rapide des régimes juridiques et fiscaux de l'on-shore et de l'off-shore, unifié à MT. Un texte qui aurait tout à gagner aussi se délester de quelques articles en contradiction avec la nouvelle constitution (Art.10 sur l'impossibilité de l'expropriation ou Art. 53-55 sur le recours à l'arbitrage international)
Une loi qui gagnerait aussi en clarté si elle ne rajoutait au fatras et fouillis des incitations fiscales de nouvelles primes à l'investissement et à la performance économique (sic !)
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la loi-cadre des PPP. Bien que toutes ses dispositions ne soient pas toutes encore connues, ses rédacteurs seraient bien avisés d'y inscrire les garde-fous (enseignements des expériences étrangères) afin d'éviter des désillusions graves de conséquences.
Cette loi doit d'abord se distinguer nettement de la législation et de la règlementation en vigueur relatives aux concessions et aux régies. Elle devrait être principalement dédiée aux grands projets liés à la production de «biens communs» ou de «services publics» (commodities & utilities). En somme un texte qui ne traiterait pas du tout venant, mais bien d'opérations à caractère stratégique.
Trois exigences majeures devraient figurer dans cette loi. La première, celle d'une présence significative de l'Etat qui lui donnerait droit à une forme de cogestion (shared control), forme qui ne peut intervenir si l'investissement de la part publique est faible.
La deuxième a trait aux critères de performances au centre desquels se trouverait le nombre d'emplois pérennes.
En troisième lieu, des dispositions qui assureraient un véritable transfert de technologies (accès aux brevets, formation qualifiante des personnels) comme le font désormais nombre de pays émergents
Alors espérons que le gouvernement qui va prendre ses fonctions saura trouver les équilibres nécessaires entre les exigences de la compétitivité et celles de la souveraineté.
* Docteur d'Etat en économie du développement.
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